Derrière les fourneaux
InFolio
- Maman, j’ai faim !
- Mais non, c’est juste une impression.
- J’ai vraiment faim, j’te dis !
- Ne recommence pas, tu m’a déjà dit ça des millions de
fois !
- Mais c’est parce que j’ai faim !
- Mange ta main, alors.
- J’ai déjà essayé, ça n’a pas de goût, pas de consistance.
Et en plus elle a repoussé tout de suite.
- Mange autre chose, alors. Un nuage, par exemple. Il y en a
plein ici.
- Grmmmmbl… pas bon les nuages.
- Tu n’as pas assez faim alors si tu n’es pas prêt à manger
quelques chose qui ne te semble pas bon.
- Mais si, M’man, j’ai très faim.
- Mange les nuages alors. Ou si t’as besoin de t’occuper, va
tenir compagnie à l’infanticide.
- Oui, M’man…
- Et sois gentil avec lui, tu sais qu’il a eu une fin
violente. Souviens toi que tu as eu la chance de partir doucement, durant une
famine.
Une fois dehors, leur fils interpelle un garçon qui tape du
pied dans un nuage arrondi.
- Hé, tu viens jouer avec moi ?
- Je sais pas trop… Faut que je demande à ma mère.
- On va aller voir Kanoa, M’man veut que je lui tienne
compagnie parce qu’il a eu une triste fin, blabla… comme si la notre était
meilleure.
- Je vais demander.
Il rentre chez lui :
- Maman, est ce que je peux aller m’amuser avec l’Hindou et
l’Hawaïen ?
- Si tu me promets de ne pas vouloir les manger, oui.
- Pourquoi je ne pourrais pas les manger ? Ils ont un
petit gout épicé, et en plus, ça repousse.
- Mais parce que les gentils garçons cannibales, ça ne mange
pas les autres petits garçons.
- De toute façon, Badal est tellement maigre que ça ne vaut
même pas la peine de le croquer.
- Comme si ça devait me rassurer… Allez, file, Badal
t’attend.
La femme, se retourne alors vers son époux.
- Tu me passes le sel ?
- Bah, non !
- Tss, tu ne fais pas d’effort.
- Mais tu sais bien que je ne peux pas !
- Tu pourrais aller plus souvent à l’entrainement. Tu
finirais bien par y arriver.
- Mais Bibiche, j’ai toujours eu deux mains gauches. J’ai
jamais rien su faire de mes dix doigts. A part me blesser. Si j’avais su jardiner,
nous aurions eu assez pour survivre…
- Mais tu n’es plus comme avant. En faisant des efforts tu
devrais y arriver.
- Ca fait 200 ans que je fais des efforts…
- Tu es désespérant parfois.
- Et moi, je ne comprends pas pourquoi tu t’acharnes à cuisiner.
- Ca m’occupe, tu sais bien. J’ai besoin de me raccrocher à
du concret. Et moi, au moins, j’arrive à manipuler des objets !
- Faire battre des casseroles contenant du vide, agiter une
salière pleine de vent… Quel intérêt ? A part rappeler à notre fils qu’il
a faim.
- Tu manques d’imagination, c’est tout.
- A quoi ça nous sert, maintenant, d’imaginer et faire
semblant que nous faisons un bon repas ?
- Ca nous occupe…
L’époux sort et va chez son voisin. Une fois sur place,
après quelques salutations, le silence s’installe, entrecoupé du bruit d’une
comtoise qui cogne, avec un son ouateux, comme étouffé.
* tic, toc,
tic, toc *
- On pourrait trouver une sujet de conversation, pour une
fois.
* tic, toc,
tic, toc *
- Je sais pas. Tu as
une idée ?
* tic, toc,
tic, toc *
- Non.
* tic, toc,
tic, toc *
- Moi non plus.
* tic, toc,
tic, toc *
- C’est long l’éternité.
* tic, toc,
tic, toc *
- Oui.
* tic, toc,
tic, toc *
- Une cigarette ?
* tic, toc,
tic, toc *
- Au point où l’on en est, ça ne peut plus nous faire de mal...
Une clochette, au tintement mat retentit alors.
* ding, ding,
ding*
- Ah, ça doit être pour moi, je vais voir ce que veux
Madame.
Il quitte la pièce et l’on entend alors :
- Hector, pourriez-vous m’apporter du thé et des petits
gâteaux s’il vous plait, il est 17 heure.
- Oui, Madame.
Il revient.
- Elle réclame encore son thé.
- Elle n’a plus toute sa tête la pauvre.
- Elle l’avait déjà perdu avant. Elle était atteinte d’une
maladie qui entrainait une dégénérescence mentale.
- Mais quand comprendra-t-elle qu’elle n’est plus ?
- Le jour où j’aurai le courage de lui avouer que la
gazinière du château a explosé alors que je lui préparais son thé.
Soudain, ils entendent une petite fille affolée
s’écrier :
- Hansel ? Hansel ! Tu es toujours là ?
- Ohh ! Gretel, nous avons eu chaud ! Nous voilà
enfin sortis du four de cette vieille sorcière.
- Hansel ! En effet, il fait moins chaud, mais il fait
bien noir. Où es-tu, je t’entends, mais je n’arrive pas à te toucher.
- Moi non plus. Viens, sortons de là.
Et sous les yeux ébahis de nos deux compères, les voilà qui
s’extirpent du four de la gazinière.
- Oh, Hansel, je crois que nous avons un soucis toi et moi…