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Fanes de carottes

31 mars 2010

Courrier des lecteurs de mars

Allons nous réchauffer bien vite sous une couverture douillette pour lire le dernier edito et les poèmes du cosmos de la Poé'sidérale.

Caro_carito : Transhumance / Au delà de nous / Firmament

Anthony :Haïku colonial / Prose spatiale

Faisons vrombir nos poêles et nos fourneaux pour chasser l'hiver qui s'attarde. Et profitons-en pour lancer la Cuisine des âmes !

InFolio, Voie Mystique

Kira Nagio, La vieille du phare

MAP, Transparences et or

InFolio, Derrière les fourneaux

Anthony, Cuisine des goules

Si ce n'est pas assez, ingurgitons une boisson de l'Ouest qui brûle par en-dedans :

"Règlements de comptes à Bone-City" : Paddy O'Keefe (Pandora)

et faisons s'agiter nos zygomatiques avec le pastiche SFFF de Vanina, Exercice de style à la Queneautte.

Et pour qu'il n'y ait pas de jaloux, nous avons aussi de quoi faire plaisir à ceux qui ne craignent pas le froid. Promenons nous sur la toile aérée des "Chroniques d'Octavie" :

Neuvième épisode
Bastien - 3   (InFolio)

Dixième épisode
Miro - 3  (rose)

Onzième épisode
Néléa - 3 (Pandora)

Douzième épisode
Dercelo - 3 (macalys)

A la croisée du chaud et du froid, quand la science et la fiction se rencontrent, frissonnons à la pensée de se transformer en Cyborgs : 

Quand les humains prennent leurs yeux aux robots
Quand les humains prennent leurs oreilles aux robots
Quand les humains prennent leurs neurones aux robots
Quand les humains communiquent avec les robots
Quand les hommes deviennent des cyborgs

Merci aux auteurs.

Nous ajoutons cette fois, un grand merci aux lecteurs, aux silencieux, aux commentateurs, à tous qui êtes venus, à tous qui avez participé. Merci. Sans vous il n'y aurait pas eu de fanes.

Numéro bidouillé par InFolio, Ekwerkwe et Rose.

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30 mars 2010

Les auteurs de mars

ANTHONY

Anthony2

Jeune apprenti auteur vivant à Paris en compagnie de sa muse, Anthony Boulanger (alias Khellendros sur les fora) tente d'écrire quelques textes entre deux bouffées de dioxyde de carbone ou entre deux correspondances, volontiers dans les sentiers sombres de la Fantasy. Parmi ses sujets favoris, on trouve les oiseaux (qu'il décline sous de nombreuses formes, avec une préférence à peine marquée pour la symbolique du Phoenix) et les malédictions…

Parmi ses auteurs préférés, Tolkien, Glen Cook, Roland Wagner, Orson Scott Card et Mathieu Gaborit occupent de bonnes places !

Il s'occupe, dans la webosphère, du Collectif Hydrae et du Codex Poeticus, webzine de poésie SFFF.

SITE WEB : http://hydrae.bbactif.com/forum.htm.

* * *

CACOUNE

AutoportraitW_1_

Je sais ce que je ne suis pas,
ce que j'ai fais et ce que je voudrais.

Le reste je l'écris.

BLOG : Nulla dies sine linea / Mot compte triple

* * *

CARO_CARITO

Caro_carito

J'écris depuis... très longtemps
Je lis depuis encore plus longtemps

Sinon trois brigands, un job prenant où étrangement...
je lis et j'écris et corrige aussi
ne m'empêchent pas d'y replonger le soir.
Mais dans un terreau moins aride.

Une partie de mon éducation livresque est originaire d'Amérique latine,
mon imagination galope bride abattue et j'aime y mettre une touche irréelle.
Mais pas toujours.

BLOGS : Les heures de coton et les 1001 vaches

* * *

INFOLIO

Auteurs___photo___InFolio

L’InFolio est un mammifère bipède nomade social à tendance asociale.
Lors de sa lointaine jeunesse, l’InFolio a rencontré un autre mammifère bipède appelé le professorus de françus. Celui-ci était doté d’un don de voyance, et lui avait prédit une carrière littéraire et non scientifique. Ce savant n’avait ni tout à fait tort ni tout à fait raison. L’InFolio dévore les livres autant que les sciences dévorent l’InFolio. Parfois l’InFolio essaye d’attraper en vol des photons pour leur demander leur numéro de matricule. L’InFolio mène aussi, à ses heures perdues, des recherches sur la relativité du temps liée l’évasion par l’imaginaire et le rêve, et sur le dépôt en couches minces de pigments sur un substrat à base organique.

BLOG : InFolio dans tous ses formats

***

KIRA NAGIO

KiraNagio

Kira Nagio (ce n’est pas son vrai nom, mais elle préfère qu’on l’appelle comme ça, dans le monde de l’écriture) est tombée le chaudron de l’écriture quand elle était toute petite, et les effets sont à peu près permanents chez elle. Elle a besoin de sa dose d’écriture quotidienne pour supporter les dures réalités de l’existence. Elle a toujours eu un faible pour les mondes imaginaires, même si elle lit et écrit de tout, dans tous les genres. Kira croit toujours que le Père Noël existe, quelque part aux côtés de Peter Pan, Jack Sparrow et Bilbo le hobbit.

* * *

MACALYS

Macalys

Entre deux rêves éveillés, Macalys pousse ses désirs à devenir réalité. Consciente qu'une vie ne suffira sans doute pas pour assouvir toutes ses passions, elle se concentre sur l'indispensable : son mari et son bébé, lire, écrire, Paris, l'Histoire, le thé, le chocolat.

Vous pouvez aussi la retrouver dans la Mare aux nénuphars, forum de bêta-lectures du collectif d'auteurs CoCyclics, et sur Oniris, site de publication de littérature amateur en ligne.

BLOG: Réflexions macalystiques

 

* * *

MAP

Auteurs___photo___MAP

Amie de la nature et des jeux de mots pour lutter contre tous les maux !

* * *

PANDORA

Auteurs___photo___Pandora

Je suis une gourmande et une passionnée, en vrac, de voyages, de chocolat, de jeux vidéo et de lectures allant de la poésie (Baudelaire) à la fantasy (Robin Hobb, Guy Gavriel Kay, Tolkien…) et à la science fiction (Bradbury, Philip K Dick, Asimov…) en passant par le polar que j’adore sous toutes ses formes, très noir (Chesbro, Ellroy, Connely, Tabachnik, Liebermann…), dépaysant (Benacquista, Mc Call Smith, Mankell…), amusant comme Westlake ou inclassable comme Vargas …

Et quand tout cela ne suffit plus à me faire rêver, je prends ma plume et m’invente de nouveaux univers pour m’évader au travers de mes personnages et de mes histoires…

BLOG : Les poèmes de Pandora

* * *

ROSE

Auteurs___photo___Rose

Née : il n’y a pas si longtemps
S’incarne aussi bien en Blanchefleur qu’en Madame Bovary
Voyage : à l’autre bout du monde, dans sa tête
Aime : écrire, hésiter juste avant d’écrire, s’enfermer entre d’épais remparts de livres et autres paperolles

BLOG : Ce que dit Rose

***

SHI MAY MOUTY

Mouty_1_

 

Après avoir enseigné à des grands enfants, elle a entrepris de déterrer des ancêtres et de lire tous les livres achetés par ses deux enfants et une bibliothèque municipale en entier. Il n’empêche que sa vie est pleine de trous.

***

TILU

Tilu

Elle regarde
Elle sent
Elle touche
Elle écoute
Elle goûte
Elle capture le monde dans sa boîte à images
Elle dessine
Elle chante
Elle écrit
Elle aime
Quelques fois, elle parle avec les ours…et les lutins…
Elle rêve…
C’est sa vie…

BLOG : Un jour et pas l'autre

* * *

VANINA

Vanina

Née en 1964 à Paris, dans un milieu artistique,
je suis la « petite dernière » d’une famille de 6 enfants.
« On » me dit collectionneuse de collections…
J’ai un fils, né en 1987, dont le père est décédé en 1995.
J’ai retrouvé en 2005 mon premier Amour ; il est l’homme de ma vie !

Deux aphorismes qui accompagnent ma vie :

- « Il ne faut jamais oublier ses rêves.»
- « Ma liberté s’arrête là où celle des autres commence. »

Sourire

BLOG: Art'moureusement vôtre
 

***

A tous et aussi aux autres qui ont participé durant ces 30 numéros...

MERCI !

29 mars 2010

Cuisine des âmes - 5

Cuisine de Goules
Anthony



Dans le royaume des Goules, Ven'h est ce qu'on appelle un cuisanimiste. C'est à dire qu'à partir des âmes récoltées parmi la gent humaine, il peut tirer la substantifique moelle nécessaire à la survivance de son espèce. C'est un métier que seuls quelques élus peuvent accomplir, et chaque cuisanimiste est hautement conscient de l'importance de sa mission.
Aujourd'hui, si Ven'h va bien cuisanimer, il ne va toutefois pas le faire pour ses frères et sœurs. Aujourd'hui, il passe devant les maîtres du métier pour leur prouver son talent et obtenir le droit de travailler dans les cantines royales. Il est debout, en ligne avec plusieurs collègues concurrents qui, comme lui, espèrent décrocher le sésame. Plus qu'une reconnaissance, nourrir le Roi des Goules, leur Père à tous, serait un accomplissement pour eux.
Ven'h est confiant dans ses capacités. Il sait préparer n'importe quelle âme humaine, de la plus pieuse à la plus vile. Il sait reconnaître les sentiments qui sont un poison pour les siens et les retirer de ses griffes noires sans se contaminer, il sait assaisonner les âmes les plus difficiles pour que leur amertume disparaisse. Il sait marier les saveurs pour créer de l'inédit. Aucune recette que lui demanderaient les maîtres ne saurait lui résister, il en est certain.
L'un d'eux s'avance justement et prend la parole. L'ombre de son corps est ridée, craquelée par endroits ; ses yeux, puits ténébreux, ne brillent pas de l'éclat onyx pourtant caractéristique des Goules. Ses griffes toutefois sont encore longues et acérées. Son aspect surprend Ven'h, il a l'impression que le maître est si vieux, état impensable pour une Goule, qu'un souffle pourrait le briser définitivement.
- Bienvenue à tous, commence-t-il doucement. Vous êtes dix-huit à prétendre cuisanimer pour notre Roi. Sachez que c'est une tâche noble, la plus noble au sein de notre Royaume car ainsi, vous prolongez la vie de notre monarque, sans qui nous n'existerions pas, et par conséquent celle de votre peuple dans son ensemble. Je sais que vous êtes conscients de l'enjeu mais je le répéterai tout de même. Nous ne prendrons que les meilleurs d'entre vous, car si le Roi meurt, toutes les Goules qu'il a engendrées meurent avec lui. Il n'y a pas de quota dans cette épreuve : vous pourrez tous réussir comme tous échouer.
Ven'h fait cliqueter ses griffes. Il lui tarde de commencer.
- Suivez-nous à présent, conclut le maître.
Le groupe se met en route et, mené par les cuisanimistes royaux, il ne tarde pas à arriver dans la salle qui lui est réservée.

Les cuisines royales occupent une aile entière du palais du Roi des Goules. Non pas que le monarque et ses proches aient un appétit démesuré, mais ceux qui y officient préparent également les âmes pour nourrir la population des alentours. La plus grande partie de la salle est remplie de gigantesques étagères sur lesquelles sont entreposées des fioles contenant les âmes humaines. Entre les planches, les Goules récolteuses, qui réapprovisionnent les stocks, expirent les âmes qu'elles ont aspirées dans des flacons vides et étiquettent soigneusement le récipient. C'est un ballet multicolore qui s'agite devant Ven'h et les cuisanimistes. Il y a là plus d'âmes qu'il n'en a jamais vues réunies ! Chaque humain a une couleur d'âme qui lui est propre, dépendante de sa vie, de ses croyances. Chaque variation de texture, chaque imperfection est un évènement que Ven'h a appris à déchiffrer. Les nouveau-nés ont une âme blanche, lisse, car ils n'ont rien connu. Les personnes les plus vertueuses ont une âme jaune. Plus la teinte est intense, plus le goût est fort. Les âmes dorées sont les plus recherchées. Rouge pour les assassins, noir pour les hommes mauvais. Bleu pour les amants.
- Sans trop tarder, commençons l'épreuve, reprend le même vieux maître.
Celui-ci est passé près des étagères sans s'arrêter, emmenant la troupe dans son sillage. Il l'emmène jusqu'à de grands plans de travail où, devine Ven'h, l'on doit préparer les âmes en grande quantité et à la chaîne. Aujourd'hui, elles sont vides et étincelantes.
- Installez-vous s'il vous plaît, indique la vieille Goule d'une griffe. Vous allez devoir préparer le plat unique que mange notre Roi : l'Ame Argentée...
Les cuisanimistes sont interloqués, les yeux interrogateurs. Il en va de même pour Ven'h. Jamais il n'a entendu parler d'un tel plat ! L'argent n'existe pas dans les âmes humains. Il faudrait quelqu'un qui ait passé sa vie dans la neutralité, et c'est un mythe. La neutralité absolue, l'absence d'impact autour de soi est impossible, dès la naissance c'est joué.  Il regarde autour de lui : apparemment, personne n'a entendu parler de cette recette. Est-ce que les maîtres veulent les évaluer sur leurs réactions face à l'inconnu ?
Il faut que j'agisse en premier. S'ils veulent de l'argenté, je dois leur en fabriquer...
Ven'h quitte la table de travail, les griffes écartées, et se dirige vers les étagères. Il est un prédateur en chasse à présent de cette couleur qui lui permettra de réaliser son rêve. Aucun maître ne lui demande s'il abandonne, il doit être sur la piste. Il aborde ses frères et sœurs récolteurs :
- Salutations. Je recherche une âme argentée, savez-vous si vous avez ça en stock ?
La Goule devant lui répond que non, les suivantes aussi. On lui montre le registre des âmes, récapitulant l'état des stocks. C'est un gigantesque éventail de toutes les nuances chromatiques. Quelques âmes dorées, quelques cuivrées, mais pas d'autres nuances métalliques. Il y en a bien des grises, mais il est impossible d'ajouter de la lumière dans une âme. Eclaircir la teinte, l'assombrir, la modifier oui, en la mélangeant correctement...
Une âme argentée... Ce doit être une image.
Ven'h a initié un mouvement de foule. Les autres cuisanimistes parcourent les rayonnages à leur tour, interrogeant les récolteurs, lisant les étiquettes ou d'autres registres. Certaines repartent avec quelques fioles, la démarche hésitante, et Ven'h craint de se voir dépasser.
Peut-être dois-je imaginer ce que serait le goût d'une telle âme ? Mais aucune saveur ne me vient à l'esprit. Du chagrin bleu, de la joie jaune à parts égales ? De la passion rouge et de l'indifférence décolorée ? Tout va s'annuler, ce sera un plat fade. Mais c'est ma seule piste.
Ven'h à son tour s'empare de fioles. Parmi les lucioles plus ou moins chatoyantes, plus ou moins lisses, il ne sélectionne que les âmes sans imperfection, celles d'hommes et de femmes constants, qui n'ont jamais dévié de leur idéal de vie, qu'il soit bon ou mauvais. Elles sont rares et le travail est fastidieux. Sur les tables de travail, certaines Goules cuisaniment déjà.
Ven'h commence à son tour. Il étale les âmes devant lui et de ses griffes, cisaille et coupe, abrase et polit, déchiquète et perce. Ses coups sont précis, et contrairement à ce qu'on pourrait penser, aucun n'est dû au hasard. Il voit dans les tréfonds des âmes les formes qu'elles doivent avoir pour libérer leur saveur, pour se marier avec les autres, pour que les proportions soient parfaites. Il goûte sa création. Il a obtenu un plat gris et sans saveur, comme il s'y attendait. Chaque âme s'est mariée avec son contraire, tant et si bien qu'elles se sont toutes annulées. Impossible de croire que le Roi des Goules puisse ne manger que cela. Tout à ses sombres pensées, il n'entend pas un des maîtres venir derrière lui et regarder par-dessus son épaule.
- Tu y es presque cuisanimiste. Tu n'as pas encore mis tout ce que tu avais, toutefois.
Ven'h sursaute et se retourne, mais la vieille Goule a déjà fait demi-tour pour inspecter d'autres plats. Il regarde autour de lui : personne ne semble avoir entendu. Il aurait vraiment pris la bonne voie ?
Je n'ai pas mis tout ce que j'avais ?
La Goule regarde toujours le maître s'éloigner de sa démarche lente de vieillard. Les autres juges sont tout aussi chenus, la noirceur de leur corps est ridée, craquelée... Tous les cuisanimistes du Roi ont l'air vieux. La lumière se fait soudain dans l'esprit de la créature. Il comprend ce qui rendra son plat argenté. Il ne sait pas encore comment procéder, mais il a compris. Il prend entre ses griffes le mélange d'âmes. Il est à la fois aérien et lourd, liquide et solide. Ven'h ferme les yeux en malaxant la pâte grise puis, pris d'une impulsion soudaine, l'ingurgite. Il se force à contenir l'ensemble dans son corps ténébreux sans l'assimiler puis le régurgite. Oui, voilà ! Les âmes sont argentées à présent !
Ven'h passe une griffe sur son visage. Une craquelure a fait son apparition. Il comprend de quoi se nourrit le Roi des Goules. De ses sujets, de ses propres enfants. Les cuisanimistes sont sa nourriture, leur vie est mêlée à la mort des humains.
La Goule est fière de sa découverte. Fière d'être capable de nourrir son Roi. Elle ferme les yeux. Victoire...

28 mars 2010

Le feuilleton du dimanche

Chroniques d'Octavie

douzième épisode

Dercelo
par Macalys

La plupart de mes matins souffrent de solitude, volontaire ou forcée. Aujourd’hui, pourtant, un corps chaud se presse contre moi. Sous une abondance de cheveux doux, sommeille une jeune femme. Son souffle régulier porte vers moi des effluves d’épices et de fruits. Il faut l’avouer, cette situation ne me déplaît pas.
Je m’extrais du hamac à la force des bras pour éviter qu’il ne tangue et ne réveille sa belle endormie. La tension de mes épaules s’est estompée. Fait inédit depuis des semaines, je me sens léger, enjoué. Un ballon s’envole dans le ciel encore pâle de l’aurore, un passager à bord. Tout à coup, je l’envie. Il est maître de son destin, maître de la direction à donner à son véhicule, alors que je demeure prisonnier d’Octavie, luttant à chaque instant contre la gravité.
Je caresse mes yoyos sans conviction. Non, je ne les ferai pas danser tout à l’heure. Cette journée m’appartient. Sur la traverse est, une poignée de spectateurs m’attend, impatients. Je les dépasse avec un sourire d’excuse. Eh oui, le jongleur prend des vacances. Devant leurs regards interloqués, un sentiment de jubilation m’envahit. Beaucoup viennent ici avant le travail. Je les guette en coin tandis que, pour la première fois depuis des mois, je flâne sur la traverse. Ils restent un moment bras ballants puis s’éparpillent. Ainsi va la renommée. Qui que l’on soit, où que l’on soit, le vide laissé derrière soi se remplit toujours facilement.
Les commerçants me saluent et s’étonnent que je m’attarde à discuter. Une glace à la fraise à la main, j’écoute avec intérêt les potins qui s’échangent, se commentent, se déforment. Jamais encore je n’ai prêté autant d’attention aux nouvelles de la cité. J’ai l’impression de redécouvrir Octavie. Ce matin, la tension se lit sur les visages.
Après l’incendie criminel d’une partie du filet, la prophétesse se maintient entre la vie et la mort depuis une semaine. Grâce aux dieux, son bébé a été sauvé, nuancent les boutiquières. Ces évènements s’ajoutent à d’autres tout aussi dramatiques, survenus peu de temps auparavant. Un garde a été poussé dans le précipice. Des témoins ont vu s’enfuir deux adolescents, sans que l’on sache s’ils sont mêlés à l’affaire. Cette mort suspecte s’ajoute à une série de disparitions étranges au sein des quartiers pauvres. La municipalité envisage de faire monter des enquêteurs de la plaine, rompus aux investigations criminelles. En attendant, comment protéger les Octaviens alors que les maisons demeurent ouvertes à tous les vents en permanence ?
Ces rumeurs d’intrusion imminente d’autorités extérieures à la ville ne m’enchantent guère. Octavie ne m’apparaît plus comme un refuge si sûr. Ma glace à la fraise a un goût de passé amer. Je m’éloigne de la traverse et me dirige vers un endroit moins fréquenté, poussé par un besoin pressant de solitude. Une vingtaine de minutes de marche et d’escalade m’entraînent à l’écart de l’agitation de la cité. Même les singes ne s’aventurent pas jusqu’ici. Je m’assois au bord du filet. Si une ronde passait, je récolterais une amende : la loi interdit strictement ce genre de prise de risque. Mais après tout, l’équilibre, c’est mon métier.
Les jambes suspendues au-dessus de l’abîme, je songe à l’ivresse de liberté que j’éprouverais si, d’un coup de fesses, je me projetais dans le vide… et au bout du voyage, la libération. Adieu remords, fuite, chagrin. Adieu cauchemars. Rien que mon esprit flottant, léger, dans le vent, à la rencontre des âmes chères que je n’ai pas su protéger. Peut-être qu’elles me pardonneront, moi en tout cas, je n’y parviens pas. Un simple coup de fesses…
— Dercelo, vous voilà, enfin !
Je reconnais immédiatement la voix éraillée de Jules Fragoli. Depuis la fête du Grand Merci, il insiste pour me recruter dans sa troupe d’artistes qui exerce à Jurte, dans la vallée. Lui et sa femme, Rose, assistent à mes chorégraphies chaque jour, avec une assiduité et un enthousiasme non encore entamés.
— Le marchand de glaces nous a indiqué par où il vous a vu partir car nous nous inquiétions de ne pas vous trouver à l’emplacement habituel. Nous avons aperçu votre silhouette au loin et vous avons suivi. Quelle course pour vous rejoindre !
— Jamais fatigués de moi, n’est-ce pas ? Pourtant, je me fatigue moi-même.
— Pourquoi ne pas faire une trêve avec le dégoût de soi ? Vous vous rendez compte de l’énergie que vous gaspillez à vous haïr ?
— Croyez-moi, je le mérite, j’ai un bon nombre de fautes à expier.
— Vous n’avez rien à vous reprocher. J’ai mené ma petite enquête.
Oh non. Décidément, je ne suis plus en sécurité ici. Mon errance doit reprendre.
— Votre femme vous a épousé contre l’avis de son père, parrain redouté du clan Marcella, la mafia infiltrée dans la police et l’armée. Il n’a pas pardonné à sa fille de l’avoir abandonné, et à vous de lui avoir enlevé son bébé. Ses sbires ont reçu l’ordre de découvrir votre cachette et de vous massacrer. Votre femme et votre fils ont été exécutés, vous avez réussi à vous enfuir.
L’énoncé plat des faits me semble encore plus violent que les faits eux-mêmes. J’encaisse le choc. Mal, très mal. De vraies larmes coulent sur mon visage, enfin, après toutes ces années à les retenir.
— Alessandro Marcella est mort, Dercelo. Vous n’avez plus besoin de fuir sa vengeance.
Rose esquisse un geste vers moi, je recule. Le filet se dérobe sous mes jambes, mais mes mains – maudit instinct de survie – agrippent la corde par réflexe.
Suspendu au-dessus du vide, je contemple le choix qui s’offre à moi : la mort ou la vie.
Je lâche prise à droite. Rose se mord la lèvre ; elle se sent coupable. Ni elle ni Jules n’osent plus rien dire. Ils me jettent des regards suppliants.
La chute me tente terriblement. Depuis le début de mon exil, d’ailleurs. Chaque seconde, mon cœur me crie que je n’ai pas su protéger ma famille. J’aurais dû être là, à leurs côtés, quand leurs assassins ont surgi de l’ombre. J’ai parcouru des villes, des villages, des chemins, sans y trouver aucun réconfort. Seule la haine de cet homme me poursuivant où que j’aille me maintenait vivant. Partout, il dénicherait mon abri, et un jour, je mourrais par sa volonté. Je paierais pour ma lâcheté et les êtres aimés abandonnés à leurs bourreaux.
Maintenant, ce dilemme effrayant. Sous moi, le vide et l’oubli. Retrouver Elora et Lior. Au-dessus de moi, une chance de me réconcilier avec la vie, malgré les cicatrices du passé.
Au moins, j’ai le choix : je suis libre, enfin !
Mon éclat de rire cause la stupeur des Fragoli. Ils sursautent quand je leur crie :
— Vous savez, je pourrais racheter votre entreprise, et vous embaucher tous les deux ! Vivre comme un vagabond tout en passant pour le prince des jongleurs, ça rapporte !
Le filet tangue au rythme de mes paroles. D’une voix étranglée, Rose tente de me raisonner :
— S’il vous plaît, Dercelo, tendez-nous la main. Laissez-nous vous aider.
— D’abord, promettez-moi que tout ira mieux.
— À quoi bon, si vous ne me croyez pas ? Vous me croirez Dercelo, si je vous dis que tout ira mieux à partir de maintenant ?
Je n’hésite qu’une fraction de seconde.
D’une traction du bras, je me hisse vers l’espoir.

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illustration: Tilu

FIN

26 mars 2010

Pastiches SFFF

Exercice de style à la Queneautte

Vanina

V_Toothmaster


- Version « quasi-vraie »
Le père était dentiste,
le fils, étudiant en informatique,
ils avaient en commun l'amour des jeux vidéo.
LOL !

- Version « même pas mal »
Gamenator n'avait peur de rien.
Une fois allongé sur le fauteuil du dentiste, il ouvrit grand la bouche.
Aujourd'hui, il était là pour se faire arracher une dent de sagesse.
Imaginez la surprise du chirurgien-dentiste lorsqu’il pu observer la dent de près…
On ne s'appelle pas Gamenator pour rien !

- Version enfantine
L’enfant glissa la manette de sa console définitivement cassée sous son oreiller. Il espérait ainsi que la petite souris lui donnerait un peu d’argent pour en acheter une nouvelle, se demandant si la participation de la petite souris était proportionnelle à la taille de la dent…

- Version tintinophile
Afin de passer le temps dans la chambre d’hôtel qui leur servait de prison, Tintin et le capitaine Haddock avait entamé un jeu vidéo. Le capitaine Haddock était maladroit et n’arrivait à rien avec sa manette. Il pesta « Mille millions de mille sabords ! Iconoclaste, Bachi-bouzouk, moule à gaufres ! Cette satanée machine a une dent contre moi !!! ». Il lança alors la manette qui traversa la chambre et passa par la fenêtre dans un bruit de verre brisé…

- Version « obsession »
Allongé sur le canapé du psy, le dentiste tremblant racontait son cauchemar de la nuit : « Mon fils m’offrait une console. Je la déballais et lisais la notice de mise en route. C’est là que tout a dérapé… J’ai lancé mon premier jeu : « Hydropulsor »…, et sur l’écran les premières indications d’utilisation se sont affichées :
- pour commencer le jeu : appuyez sur la carie A,
- pour lancer un jet d’eau contre les bactéries, appuyer sur la carie B,
- pour vous déplacer, utiliser le plombage multidirectionnel à gauche de la molaire… »

- Version SF
Mario, l’archéologue, effectuait des fouilles sur la planète Tair, la troisième planète au-delà du système Ninsoga. Cette planète était inhabitée depuis plusieurs centaines d’années. Elle avait été abandonnée par les cyborgs qui dans un premier temps se l’étaient appropriée en la déshumanisant. La première découverte que fit Mario, se trouvait dans ce qui lui semblait être les restes d’un hôpital robotisé. Cette première découverte ressemblait à une cyber molaire…

- Version d’une blogueuse
Je n'y peux rien...
A chaque fois que je vois ce genre de manettes, les blanches en particulier, je vois une dent.
S’agirait-il de l’expression d’une forme obsessionnelle de manque depuis que l’on m’a arraché 5 dents de sagesse…
D’ailleurs, certains se souviennent peut-être de mon texte «DE(nt)SIGN »  comparant un tabouret en plastique (by P. Starck) à une molaire…
C’est grave docteur ?

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25 mars 2010

Cuisine des âmes - 4

Transparences et or :
le sablier des âmes
MAP



Map_Cuisine_des__mes_Transparence

24 mars 2010

Règlement de compte à Bone City - 1

West Telegraph, 4 avril 1879

Hier dans Main Street, aux alentours de midi, un brutal règlement de comptes a ensanglanté Bone City. Un homme qui s'était enregistré à l'Hôtel des Voyageurs sous le nom de Jack Thornhill a été tué par Bloody Jim Chester, le chef présumé de la bande de voleurs de bétail qui écume notre région depuis plusieurs mois. Durant la matinée, Jack Thornhill s'était enquis de la présence de Bloody Jim auprès des habitants, prétextant qu'il le cherchait « pour affaires »: « Vous savez dans quel bouge cette ordure de Bloody Jim cuve son tord-boyaux ? »

Quand il finit par le retrouver, alors que Chester sortait du saloon de Paddy O'Keefe, il tira sur lui à deux reprises, le blessant à la jambe et à l'épaule. Mais Bloody Jim, que nous connaissons comme la meilleure gâchette de Bone City, fut assez rapide pour répliquer et l'envoyer rejoindre ses ancêtres d'une balle en pleine tête. Puis il sauta sur son cheval et quitta la ville sans se retourner. La victime est un homme d'une vingtaine d'années, bond, assez grand. Il avait sur lui la somme de 300 dollars, une photo d'une jeune femme signée « Augusta » et son colt portait les initiales A.D.

Qui était le mystérieux étranger ? Quel compte avait-il à régler avec Bloody Jim Chester, de douteuse réputation ?

Le mystère reste entier.

De notre correspondant local à Bone City


Paddy O'Keeffe, nous rapporte sa version des faits :

On peut pas dire que je sois un ami de Bloody Jim Chester.

Mais je le connais un peu. Ça fait un bail qu’il vient dans mon saloon et que je lui sers à boire. Forcément puisque le meilleur whisky de Bone City se boit chez Paddy O’Keefe. Et il a une sacrée descente ! S’il ne tirait pas aussi vite, on l’aurait surnommé Jim l’éponge depuis longtemps !

Il passe avec sa bande quand il est dans le coin.

Voleurs ? Attention, j’colporte pas les ragots, moi. Avec tout ce que j’entends, si j’savais pas tenir ma langue, ça fait longtemps que j’aurais fini entre quatre planches. Et puis si c’était vraiment le chef de la bande de voleurs de bétail, vous croyez pas que le sheriff l’aurait coffré ? Non, pour moi, Bloody Jim Chester, c’est un client honnête et respectable. Un bon client même, il règle sa note, et c’est jamais le dernier pour payer sa tournée. Le reste, j’veux pas le savoir. Paddy O’Keefe est pas une balance.
Mais ce matin-là, c’est vrai que je l’ai trouvé bizarre.
Faut dire que tous les gars au comptoir parlaient de ce type qui traînait en ville et qui le cherchait. Ça causait, ça s’énervait et surtout ça buvait. On ne parlait que du macchabée. Enfin, à ce moment-là, il était pas encore mort, il posait des question partout dans la ville.

Faut pas parler aux étrangers, ça fait toujours des histoires.
Bref, il était pas comme d’habitude quand il est entré dans le saloon. Tout le monde a arrêté de causer. Même Johny la grande gueule. Bloody Jim regardait partout et ses mains ne quittaient pas son ceinturon, comme s’il voulait être prêt à dégainer vite fait. Les gars de sa bande étaient pas avec lui, ou alors ils étaient planqués quelque part. Mais il risquait pas de trouver ce type chez moi. Un pieds plats qui traite mon saloon de bouge, et mon whisky de tord boyaux est pas le bienvenu chez Paddy O'Keefe.
Bloody Jim s’est approché du bar. On n’entendait plus que le bruit de tintement de ses éperons qui résonnaient dans le silence. Cling, cling, cling. Il a enlevé d’une main son stetson pour le poser sur le zinc, l’autre restant toujours à hauteur de hanche et il a juste dit :
« Comme d’habitude Paddy »
Pas de bonjour, pas de clin d’œil. C’est pas sa façon de faire.
J’lui ai servi son verre. Il l’a descendu cul sec. Personne n’osait l’ouvrir. On aurait entendu une mouche voler, mais y a pas de mouche chez moi. Le saloon de Paddy O’Keefe est le meilleur saloon de Bone City.
C’est là qu’il a éclaté de rire. Il nous a tous regardés et il a éclaté de rire. Y a eu comme un blanc puis Nutsy Billy a ri lui aussi. J’pense pas qu’il ait compris pourquoi, il ne comprend plus grand-chose depuis qu’il s’est pris un coup de sabot dans la tête, mais du coup, tout le monde a fait pareil. Et Bloody Jim m’a dit :
« - C’est quoi ces têtes d’enterrement ? Sers-nous à boire Paddy, c’est ma tournée ! »
J’en ai servi des rasades, ce matin-là. Comme s‘il n’était pas sûr de pouvoir continuer à en boire. P’tête qu’il se disait qu’en Enfer, y aurait pas du si bon whisky que chez Paddy O’Keefe. En tout cas, l’atmosphère s’est bien détendue et quand le pianiste s’est amené pour jouer, tout le monde rigolait bien.
Bloody Jimmy gardait toujours une main sur le ceinturon, et je le voyais qui guettait la porte. Je crois qu’il savait qui était ce Jack Thornhill. Il l’attendait.

A un moment, un des types de sa bande est entré pour lui faire un signe. Ils surveillaient l’étranger pour leur patron. Il leur a dit de s’en aller, il voulait régler ça d’homme à homme. Il m’a demandé un dernier verre « pour la route » et il a payé. J’dois dire que je préférais comme ça. Les clients morts règlent pas leur ardoise. Si Bloody Jim Chester est le tireur le plus rapide que j’aie jamais vu, la meilleure gâchette finit un jour par trouver plus fort qu’elle.
Il est sorti et tout le monde s’est à nouveau tu. Sauf le pianiste. Du coup, on a pas entendu le tintement des éperons. Mais les coups de feu, si : Pan, pan, pan. J’me suis planqué derrière le bar et les clients sous les tables. On a entendu des bruits de cavalcade et des hennissements de chevaux, puis plus rien. Au bout d’un moment, ça a recommencé à bouger dehors, ça gueulait :
« Il est mort ! »
« C’est Bloody Jim Chester ! »
J’étais pas tranquille. Je n’aime pas quand mes clients meurent, surtout les bons. Et oui, Paddy O’Keefe est un grand sentimental ! Alors je suis sorti voir.

Le soleil tapait fort, j’ai dû m’habituer à la lumière. Il y avait des tâches de sang sur les planches de bois devant le saloon et dans la rue le corps d’un grand type blond, avec un trou en pleine tête.
Voilà ce qui arrive quand on traite le whisky de Paddy O’Keefe de tord-boyaux !

***
Une histoire de l'Ouest en réponse à un appel tout aussi à l'ouest.

22 mars 2010

Cuisine des âmes - 3

Derrière les fourneaux

InFolio

- Maman, j’ai faim !

- Mais non, c’est juste une impression.

- J’ai vraiment faim, j’te dis !

- Ne recommence pas, tu m’a déjà dit ça des millions de fois !

- Mais c’est parce que j’ai faim !

- Mange ta main, alors.

- J’ai déjà essayé, ça n’a pas de goût, pas de consistance. Et en plus elle a repoussé tout de suite.

- Mange autre chose, alors. Un nuage, par exemple. Il y en a plein ici.

- Grmmmmbl… pas bon les nuages.

- Tu n’as pas assez faim alors si tu n’es pas prêt à manger quelques chose qui ne te semble pas bon.

- Mais si, M’man, j’ai très faim.

- Mange les nuages alors. Ou si t’as besoin de t’occuper, va tenir compagnie à l’infanticide.

- Oui, M’man…

- Et sois gentil avec lui, tu sais qu’il a eu une fin violente. Souviens toi que tu as eu la chance de partir doucement, durant une famine.

 

Une fois dehors, leur fils interpelle un garçon qui tape du pied dans un nuage arrondi.

- Hé, tu viens jouer avec moi ?

- Je sais pas trop… Faut que je demande à ma mère.

- On va aller voir Kanoa, M’man veut que je lui tienne compagnie parce qu’il a eu une triste fin, blabla… comme si la notre était meilleure.

- Je vais demander.

Il rentre chez lui :

- Maman, est ce que je peux aller m’amuser avec l’Hindou et l’Hawaïen ?

- Si tu me promets de ne pas vouloir les manger, oui.

- Pourquoi je ne pourrais pas les manger ? Ils ont un petit gout épicé, et en plus, ça repousse.

- Mais parce que les gentils garçons cannibales, ça ne mange pas les autres petits garçons.

- De toute façon, Badal est tellement maigre que ça ne vaut même pas la peine de le croquer.

- Comme si ça devait me rassurer… Allez, file, Badal t’attend.

 

La femme, se retourne alors vers son époux.

- Tu me passes le sel ?

- Bah, non !

- Tss, tu ne fais pas d’effort.

- Mais tu sais bien que je ne peux pas !

- Tu pourrais aller plus souvent à l’entrainement. Tu finirais bien par y arriver.

- Mais Bibiche, j’ai toujours eu deux mains gauches. J’ai jamais rien su faire de mes dix doigts. A part me blesser. Si j’avais su jardiner, nous aurions eu assez pour survivre…

- Mais tu n’es plus comme avant. En faisant des efforts tu devrais y arriver.

- Ca fait 200 ans que je fais des efforts…

- Tu es désespérant parfois.

- Et moi, je ne comprends pas pourquoi tu t’acharnes à cuisiner.

- Ca m’occupe, tu sais bien. J’ai besoin de me raccrocher à du concret. Et moi, au moins, j’arrive à manipuler des objets !

- Faire battre des casseroles contenant du vide, agiter une salière pleine de vent… Quel intérêt ? A part rappeler à notre fils qu’il a faim.

- Tu manques d’imagination, c’est tout.

- A quoi ça nous sert, maintenant, d’imaginer et faire semblant que nous faisons un bon repas ?

- Ca nous occupe…

L’époux sort et va chez son voisin. Une fois sur place, après quelques salutations, le silence s’installe, entrecoupé du bruit d’une comtoise qui cogne, avec un son ouateux, comme étouffé.

* tic, toc, tic, toc *

- On pourrait trouver une sujet de conversation, pour une fois.

* tic, toc, tic, toc *

 - Je sais pas. Tu as une idée ?

* tic, toc, tic, toc *

- Non.

* tic, toc, tic, toc *

- Moi non plus.

* tic, toc, tic, toc *

- C’est long l’éternité.

* tic, toc, tic, toc *

- Oui.

* tic, toc, tic, toc *

- Une cigarette ?

* tic, toc, tic, toc *

- Au point où l’on en est, ça ne peut plus nous faire de mal...

Une clochette, au tintement mat retentit alors.

* ding, ding, ding*

- Ah, ça doit être pour moi, je vais voir ce que veux Madame.

Il quitte la pièce et l’on entend alors :

- Hector, pourriez-vous m’apporter du thé et des petits gâteaux s’il vous plait, il est 17 heure.

- Oui, Madame.

Il revient.

- Elle réclame encore son thé.

- Elle n’a plus toute sa tête la pauvre.

- Elle l’avait déjà perdu avant. Elle était atteinte d’une maladie qui entrainait une dégénérescence mentale.

- Mais quand comprendra-t-elle qu’elle n’est plus ?

- Le jour où j’aurai le courage de lui avouer que la gazinière du château a explosé alors que je lui préparais son thé.

 

Soudain, ils entendent une petite fille affolée s’écrier :

- Hansel ? Hansel ! Tu es toujours là ?

- Ohh ! Gretel, nous avons eu chaud ! Nous voilà enfin sortis du four de cette vieille sorcière.

- Hansel ! En effet, il fait moins chaud, mais il fait bien noir. Où es-tu, je t’entends, mais je n’arrive pas à te toucher.

- Moi non plus. Viens, sortons de là.

Et sous les yeux ébahis de nos deux compères, les voilà qui s’extirpent du four de la gazinière.

- Oh, Hansel, je crois que nous avons un soucis toi et moi…

21 mars 2010

Le feuilleton du dimanche

Chroniques d'Octavie

onzième épisode

Néléa
par Pandora

Je sombre dans un sommeil que les visions ne viennent plus perturber. Miranda a vu juste. La douleur me réveille. Brutale. Polymorphe : l’étau qui broie, la main qui tord, le feu qui brûle.
Mes doigts ne palpent plus l’habituel nid douillet tout en rondeurs, mais un ventre dur comme le bois. Je veux me lever, mais un coup de poignard me transperce. Le hamac tangue et ma tête tourne. Je suis sur un bateau ivre.
Inspirer pour réprimer la nausée qui monte.
Il va pourtant bien falloir bouger. Je dois demander de l’aide.
Pourquoi es-tu parti, Melfor ?
Je remue plus doucement pour ne pas augmenter le mal. J’essaie d’abord de m’assoir, mais ce mouvement déclenche une pluie d’étoiles filantes. Et celles-là n’annoncent pas d’heureux présage. Il ne faut pas que je perde connaissance. La souffrance me tue.
Dieux, que m’arrive-t-il ?
Inspirer pour stopper la syncope qui menace.
J’attends une minute, deux minutes. Enfin, la tête ne me tourne plus. Je sors une jambe, puis l’autre et je me lève. Je m’accroche au bord du hamac pour ne pas tomber si jamais mes jambes ne parvenaient pas à me porter. Elles résistent. Je tiens debout. Une si petite victoire !
Seulement un court instant.
La tâche sur la couche me saute aux yeux. Rouge ! Pas le coquelicot de ma première nuit d’amour, non ! Une bouche vorace et monstrueuse qui menace de tout engloutir. De nous engloutir ?
Dieux, que j’ai mal !
Ce matin, Malkia a posé la trompe sur mon ventre, le cœur du bébé battait fort. Elle a souri quand je lui ai annoncé qu’elle s’appellerait Sara. Elle a mesuré mon diamètre abdominal et m’a dit que la petite fille grandissait bien. Elle m’a pesée et m’a signalé que je grossissais trop en me grondant gentiment.
Il faut que je sache. Je descends ma main et palpe la robe à mon entrejambe. Trempée. Une nouvelle crampe me prend qui me coupe en deux et m’oblige à me laisser glisser sur la plate-forme. Impossible de rester debout. Allongée sur le sol, je frissonne dans la nuit qui tombe. Je crie, mais mon appel retombe et se perd dans les profondeurs de l’abîme que surplombe Octavie. Ma voix est arrêtée par les tentes et les divers objets suspendus aux cordages, et étouffée par les brumes qui montent du gouffre.
Melfor ne reviendra pas avant fadi, il est parti faire une livraison à Euphémie pour la famille Decidan
Inspirer pour calmer la sensation de panique qui me gagne.
Je souffre horriblement. La main qui presse mon ventre pour atténuer la douleur est rouge du sang qui s’écoule et goutte maintenant sur le bois clair.
Dieux, aidez-moi !
Je rentrais de l’accoucheuse. Je marchais doucement, la configuration d’Octavie est une épreuve pour les femmes enceintes et nous avions décidé de déménager plus haut dans la ville au retour de Melfor. J’empruntais l’une des dernières passerelles quand un singe a filé entre mes jambes. Surprise, j’ai perdu l’équilibre et dérapé sur le sol glissant. Je suis tombée en avant.
Lourdement.
Bastien est arrivé, il poursuivait l’animal qui lui avait volé un colis. Affolé, il m’a aidée à me relever. Il n’arrêtait pas de me demander si je me sentais bien. J’allais bien, j’avais juste un peu mal au ventre. Il m’a aidée à descendre les dernières échelles pour me raccompagner. Il voulait attendre avec moi, ou chercher du secours. Mais j’allais bien. Je sentais Sara qui bougeait et Malkia m’avait dit qu’elle grandissait. Tout serait remis en place après une petite sieste. Je ne lui ai pas dit que je resterais seule, le facrobatien devait reprendre sa tournée. Je me suis allongée pour me reposer.
J’aurais dû le laisser m’envoyer l’accoucheuse. Il l’a peut-être fait. Peut-être va-t-elle venir ?
Dieux, la prophétesse a besoin de vous !
J’ai dû perdre connaissance. Il fait nuit. Les lumières d’Octavie brillent au-dessus de moi, au travers de la brume et des mailles du filet. Elles se confondent avec les étoiles. Le froid est glaçant. J’essaie de me mettre debout, mais j’ai trop mal. Je tire la couverture qui recouvre le hamac, chaque mouvement est calvaire. Je me traîne alors jusqu’à l’autel. J’allume de l’encens et une bougie, j’ai peur. La flamme danse, rouge et chaude, une sorte de présence lumineuse. Je prends le reste des bougies et je les allume une par une. Je claque des dents et mon corps frissonne sans réussir à me réchauffer. Épuisée et essoufflée par tous ces efforts, je m’allonge devant le ballet de lumières, essayant de ne pas penser à la douleur qui me dévore.
Dieux, ne m’abandonnez pas !
Je crie à nouveau, mais je n’arrive à émettre qu’un faible gémissement. Un singe curieux monte sur la plate-forme. Je l’entends qui saute et fouille partout, cherchant de quoi manger. Il renverse les coupelles d’eau sacrée. Je suis tellement fatiguée que je n’ai même plus la force de lever les bras pour le chasser. Il fait alors tomber une bougie qui embrase la nappe rouge brodée. Le tissu s’enflamme. Effrayé, l’animal s’enfuit. Le feu gagne les rouleaux de prières rangés sous l’autel de bois.
La chaleur m’enveloppe d’une douce chape. Je n’ai plus froid, je suis presque bien. Mes pensées sont de plus en plus confuses. J’espère que Melfor va bientôt rentrer.
Ça crépite et ça craque, des éclats de lumière dansent, ma vue se brouille encore.
Mes paupières sont si lourdes.
Il me semble entendre des cris au-dessus de moi.
Je suis la prophétesse. Je ne rêve pas, je vois.
La nuit est rouge. Les flammes crépitent, éclairant le ciel.
Octavie brûle.
Maudits Dieux, où êtes-vous ?

04___z_513___La_Crois_e_des_Cordes

Illustration: Tilu

A suivre…

20 mars 2010

Poésie intersidérale - 2

Anthony


Haïku colonial

Le vaisseau s'enfonce
Hors du système solaire
Ténèbres infinies

***

Prose spatiale

Entre les trous noirs et les trous blancs
Entre les comètes crochues et les planètes rondes
Entre les lignes des orbites
Je lis sans aucun bémol
Et découvre loin du sol terrestre
Les staccato des éruptions stellaires
Les legato de leur lumière
Les chocs entre les allegro d'énergie
Les adagio de matière
J'entends la symphonie de l'univers

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Fanes de carottes
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