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Fanes de carottes
7 mars 2010

Le feuilleton du dimanche

Chroniques d'Octavie

neuvième épisode

Bastien
par InFolio

Le climat d’Octavie a la chance de ne pas être trop mauvais. Les grands coups de vent qui perturbent la récupération du courrier de l’aérostat et les pluies qui rendent les passerelles glissantes sont assez rares. La neige est pour nous une inconnue, ou presque. Et c’est fort heureux car elle alourdit dangereusement toute la structure de la cité. On a déjà vu s’effondrer dans le vide des cabanes dont le propriétaire n’a pas eu la présence d’esprit de nettoyer le toit et les arrimages pendant et après une chute de neige. Et le propriétaire tombait malheureusement bien souvent en même temps que sa cabane, ou bien il était quitte pour une belle frayeur. Un couple adultère a d’ailleurs été découvert de cette manière, serrés l’un contre l’autre en tenue légère dans un hamac, suite à la chute d’une cahute que tous croyaient vide… ils ne pouvaient pas déneiger, ça aurait signalé leur présence.

Mais quand ce mauvais temps survient un jour où je dois travailler, il n’est pas rare que je décale mon ramassage ou ma distribution d’un jour. Je ne suis pas assez fou pour m’engager à toute vitesse sur mes filins, même s’ils sont en Infrangibile, alors que les conditions sont aussi défavorables. Pour compenser, mon jour de repos n’en est alors plus un. Par contre, si c’est le jour de l’aérostat, je n’ai pas le choix, il faut que je sois sur la passerelle. Il n’y a que quand l’aérostat annonce par radiocommunication qu’il ne viendra pas que je ne suis pas sur la passerelle.

Il y a d’autres situations pour lesquelles, je déplace mon jour de repos. En accord avec ma hiérarchie, je peux également me libérer pour certains jours de fête, comme par exemple pour la fête du Grand Merci et décaler mes activités d’une journée. Je sais que je ne trouverai personne ou presque chez soi et ça me permet de profiter moi aussi de la fête.

Quand un décalage dans le ramassage ou la distribution peut être ainsi prévu à l’avance, je dois alors en informer les gens lors de mes tournées précédentes. Mais ils ont l’habitude et ne s’inquiètent pas de ne pas me voir, surtout que si je ne viens pas à cause du mauvais temps, je ne peux pas les prévenir.

J’aime bien me promener pendant mon jour de repos. Une fois par mois, je consacre cette journée à inspecter mes câblages, à réparer quand c’est nécessaire. S’il fait trop mauvais temps, je suis chez moi à tourner comme un lion en cage. Je n’ai alors pour seule occupation de surveiller le poste de radiocommunication pour savoir si des messages urgents arrivent. Normalement c’est mon collègue Sniffy qui s’en charge, mais comme les autres, il ne sort pas les jours de mauvais temps. C’est donc à moi que revient cette tâche.

Mais s’il fait beau, je profite de ma journée pour aller tout en bas ou tout en haut de la cité. Je ne suis alors plus obligé de me dépêcher pour déposer tout mon courrier. Je prends alors un grand plaisir à flâner, et surtout à employer les passerelles, les téléphériques et autres voies de communication standards. Chaque fois, j’essaye d’employer un itinéraire un peu différent.

Cette promenade est pour moi l’occasion aussi d’aller voir des gens que je vois très peu dans le cadre de ma tournée. Il y a un bon nombre de laissés pour compte qui vivent chichement à Octavie, sans personne pour leur envoyer du courrier et personne à qui en envoyer. Je croise ainsi souvent un groupe de jeunes, un peu voyous. Ils sont obligés de ruser, de voler pour pouvoir se nourrir. Ils me rendent parfois service contre quelques pièces. Tous ne sont pas mauvais et méritent qu’on leur laisse la possibilité de s’en sortir. Certains n’ont simplement pas eu de chance, comme le jeune Miro qui a mal réagi à la chute de son meilleur ami, Jim. Il m’a fait promettre de ne pas dire à sa mère où il est. Difficile de respecter sa promesse quand de l’autre coté sa mère me supplie de l’en informer si je trouvais son fils. Alors, j’ai coupé la poire en deux, j’ai rassuré la mère en lui disant que j’avais vu son fils, mais je ne lui ai pas indiqué le bon endroit afin de laisser à Miro la liberté dont il semble avoir besoin. Mais je surveille discrètement Miro pour m’assurer qu’il ne vire pas trop mal, si jamais je constate un jour qu’il semble vouloir en finir et sauter, je serais obligé de m’en mêler.

Parfois, je vais même sur la montagne, soit en suivant la voie qui part vers l’ouest, soit celle des crêtes vers l’Est. Si jamais, j’ai un message à délivrer à Miranda qui vit là haut, j’en profite, parce que dans le cadre de ma tournée normale, je n’y vais pas. Mais elle reçoit peu de courrier, alors parfois j’y vais même sans rien à y porter. J’aime alors m’asseoir et discuter avec elle. Elle a une manière de sentir ce qui ne va pas chez les gens qui me donne toujours des frissons. Pour moi qui n’aime pas me dévoiler et dire ce que je pense ou ressens, chaque visite chez elle est une mise en danger. Mais, comme Néléa la prophétesse, elle respecte ma volonté de ne pas me voir révéler des choses me concernant. Que ce soit positif ou négatif.

On se limite juste à la pluie et au beau temps. Ou parfois, je lui donne des nouvelles de personnes pour lesquelles elle s’inquiète. En ce moment, c’est la réaction du peuple d’Octavie à la grossesse de Néléa qui la tourmente. Pendant plusieurs mois, cela va laisser un grand vide sur le plan mystique pour bon nombre d’habitants. En temps normal, les pouvoirs mystiques s’équilibrent entre la prophétesse Néléa, la sorcière Miranda, des diseurs de bonne aventure qui pour certains sont des escrocs et pour d’autres ont un vrai don. Et depuis quelques mois, il faut aussi compter avec Dercelo. Elle craint que les octaviens n’attribuent trop d’importance aux mouvements des yoyos de Dercelo. Et c’est dangereux car les messages de Dercelo sont offerts à une foule, là où une seule personne devrait les lire.

Ces yoyos elle les connait bien, car elle a été amie de leur ancien propriétaire, le vieux Bango. Il était un peu fou, et n’aimait pas son nom, préférant qu’on l’appelle le Vieux, car disait-il, il n’avait jamais été jeune. Il avait ces yoyos depuis des années, hérité d’un grand-père qui lui avait enseigné ses secrets. Depuis qu’il s’était pris d’une peur soudaine du vide, il s’évertuait à rechercher un digne héritier de leur pouvoir et enfin quitter Octavie. Ces yoyos se nourrissent de l’essence des gens qui les regardent et se servent de leur manipulateur comme d’un réservoir. Ils ont une grande emprise sur lui, et influent sans qu’il en ait conscience sur ses mouvements. Lui pendant ce temps là est comme vidé de tout. Tant qu’il ne se rebelle pas, il ne lui arrivera rien. Mais si jamais il songe à arrêter, quitter Octavie ou abandonner les yoyos, comme le vieux Bango, il risque d’avoir des gros problèmes.

Depuis que je sais tout cela, je m’arrange toujours pour rester chaque jour quelques minutes là où est installé le jongleur Dercelo. Je suis fasciné par l’attirance qu’il exerce sur les gens qui lisent des présages dans les courbes décrites par ses yoyos multicolores. J’aime les voir s’interroger et réagir à chacun de ses mouvements. Mais je reste prudent car je sais qu’il y a vraiment des présages dans ces mouvements. C’est assez effrayant d’être parmi les rares personnes à en être sûr. J’aimerais prévenir Dercelo du danger qu’il court, mais je n’y arrive pas, la sorcière doit m’avoir ensorcelé pour que je ne révèle rien.

Encore un secret que je dois garder pour moi. C’est parfois paradoxal d’être facteur, de transmettre tant de message mais, en étant le confident de bien des gens, de devoir garder tant d’informations pour soi.

07_Dercelo_Trajectoires

illustration: Tilu


A suivre…

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Commentaires
I
@macalys : j'aime énormément aussi les personnages créés par les autres auteurs. Chacun à sa façon a inventé un personnage très spécifique, avec des traits bien définis. Le tien a un coté très mystérieux qui attire. Ca m'a aidé à leur donner quelques parcelles de vie dans mes participations, en essayant de rester fidèle à ce que j'avais lu d'eux, mais en leur faisant vivre plus encore à travers les yeux de mon facteur. <br /> L'avantage du facteur, c'est qu'il peut aller partout, rencontrer plein de monde. C'est pour ça que je l'ai choisi. <br /> Merci à toi aussi pour tes participations hautes en couleurs voltigeantes !
M
J'adore comment tu as réussi à mêler les quatre histoires dans ton dernier épisode^^ <br /> Je me suis beaucoup attachée à ton personnage au fil de ses chroniques, merci et bravo !
I
Merci Map, je n'avais pas réussi à écrire quelque chose qui me plaise depuis quelques mois quand je me suis lancée sur Octavie. Le premier épisode a été une petite torture. Et je suis étonnée d'avoir réussi à aller jusqu'au bout. <br /> Je te remercie pour tous tes compliments, ça me réchauffe le coeur de savoir que ça n'était pas trop raté comme reprise de stylo.
M
J'aime bien les filins en Infrangibile !!!<br /> La vie de ce pauvre Bastien n'est pas de tout repos !<br /> Epatante l'histoire des " yoyos (qui) se nourrissent de l’essence des gens qui les regardent et se servent de leur manipulateur comme d’un réservoir."<br /> Bravo Infolio !<br /> Les filins de Tilu illustrent parfaitement tous ces épisodes !
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