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Fanes de carottes
6 avril 2008

Le feuilleton dont vous êtes le héros

Nouveau Monde

cinquième épisode

Papistache

Krill avait bien saisi l’enjeu de la discussion qui se déroulait à ses côtés. Chacun des trois naufragés portait désormais, au front, une pastille granuleuse d’un demi-pouce carré chargée de se substituer à l’obsolète senseur.

Le bain de lumière ayant calmé provisoirement sa douleur, Krill avait recouvré suffisamment de lucidité pour supplier ses amis de renoncer à la téléportation. Privé de ses jambes et même doté des meilleures prothèses de l’univers, toutes les fonctions officielles au sein de la Compagnie lui seraient à jamais interdites. Il ne lui resterait qu’à courir les planètes marginales à la recherche de contrats de trente-sixième zone. Autant avaler son bulletin d’enregistrement moléculaire !

— Docteur Coraya ! Nous vous suivons !

Avant de se diriger vers le sas d’accès, Wally se délesta du senseur et le posa sur la poitrine de la malheureuse victime des “frups”. Krill tenta de se donner une contenance en fredonnant une chansonnette, apprise dans un bouge à machinos : « Caro caro carito, tu tienes algo en mi contra por que me quieres matar que bonito… » mais le cœur n’y était pas. Il regarda s’éloigner ses amis et sentit venir l’évanouissement.

Les jardiniers lumisiens, Luma et Malu, s’effacèrent devant l’ondulante sphère fuchsia du docteur Coraya et nos deux amis la suivirent. Dans un silence seulement brisé par le bourdonnement du sang aux oreilles des aventuriers, la descente vers le jardin ne dura qu’une pincée de secondes.

Zong interrogea Wally du regard ; une idée venait de lui traverser l’esprit mais il se retint de la formuler à voix haute. Wally haussa les sourcils : “Quand le vin est tiré, il vaut l’espoir” professa-t-il, se référant à un antique proverbe de la planète Terre, souvenir imprécis de son étude des langues mortes en usage dans les défunts systèmes solaires.

Un flot de senteurs fortes les cueillit. Un spasme douloureux bloqua, un instant, la respiration des deux rescapés de la boue fétide de la mangrove anglorienne.

— Fermez les yeux, laissez vos sens reprendre le contrôle de votre enveloppe charnelle, irisa le docteur Coraya. Respirez à petites lampées !

Nulle planète n’offrait un tel cocktail d’effluves concentrés en un seul lieu, même la bien nommée In-Folio, aux confins des Trois Cercles, ne pouvait supporter la comparaison. La puanteur résiduelle des marais, qui tapissait encore l’intérieur de leurs fosses nasales, disparut. Aucun mot ne pouvait traduire la variété des exhalaisons qui emplissaient l’air. Le moindre mouvement de tête apportait de nouvelles fragrances.

Toutefois, la magnificence olfactive n’était rien face à l’exubérance végétale qui s’étendait sous leurs yeux. Une infinité d’insectes ou animaux assimilés saturaient l’espace de leurs vols aussi diversement rythmés que colorés.

— La pollinisation par médium animal n’a jamais été supplantée par quelque procédé artificiel, anticipa le docteur Coraya. Peut-être pourrions-nous, maintenant, nous mettre en quête de l’Icramore, ondula-t-elle après une courte demi-heure d’adaptation.

Elle expliqua que le protocole des Nations Sub-Orbitales interdisait tout déplacement mécanique au sein du Botanicum-Splendens. La convention des Droits de la Faune et la Flore, initiée par les trois sages Ptyl-Hu, Deuch et Beul-1, s’appliquait expressément en cet endroit. Ils allaient devoir marcher. Heureusement, les quatre membres inférieurs de Wally et Zong étaient particulièrement robustes. Dans leurs veines, au contraire de leur jeune ami Krill, coulait une forte proportion de sang des mythiques Centaurines fauves de la Ceinture Nord - un métissage  très prisé au sein de la Compagnie.

Soixante-douze heures pour sauver le convoyeur Krill ; la troupe menait bon train. Luma et Malu n’avaient encore prononcé aucune parole. En revanche, conteuse infatigable, Coraya entreprit de narrer, à sa grande confusion, les errements qui avaient conduit à perdre toute trace de l’emplacement où croissait l’unique Icramore de la plantation. Une succession de bévues et de maladresses à l’époque où le docteur Krack, jeune alors, ignorait qu’il dirigerait le programme de recherches sur Anglora. En ces temps-là, mais le médecin n’en dévoila pas un mot, les cerveaux employaient encore du personnel masculin de diverses ethnies, ce qui ne manquait pas de poser, à intervalles réguliers, de singuliers problèmes.

La température égale, mais à la limite du supportable, n'altérait pas l’optimisme de Wally. L’ivresse des insectes qui se saoulaient de nectars entêtants semblait lui avoir été communiquée. Des frissons nerveux parcouraient son échine. Il avait quitté sa combinaison et les mille pollens qui s’agitaient dans l’air, en se déposant sur les reins musculeux du spationaute, conféraient à son pelage des reflets mordorés propres à émouvoir plus d’une cavale de Pégase l’ombrageuse. Zong, plus sombre, ruminait des pensées que son compagnon, moins grisé par la plénitude de la nature, aurait, en d’autres temps, interprétées comme autant de mauvais pressentiments.

Après six heures d’une marche que Wally aurait volontiers qualifiée d’enchanteresse, sous la direction du globe lumineux de la spécialiste en chirurgie chromosympathique, les deux naufragés demandèrent à s’isoler pour satisfaire un besoin naturel. De fuchsia, le cerveau de Coraya vira à cuisse-de-nymphe-émue et les trois Lumisiens poursuivirent leur chemin en direction d’un bosquet chatoyant autour duquel voletaient des papillons gros comme des roues de déflecteur ionique. Et ce n’était pas une comparaison exagérée !

Zong invita son ami, par gestes, à détacher la puce granuleuse de son front et tous deux s’enfoncèrent sous la ramure d’un arbre qui fleurait la carotte grise des hautes plaines Espérandieu en la nébuleuse MAP :

— Un affreux pressentiment me taraude. J’ai l’impression d’être mené en soucoupe. A quoi rime cette recherche ? Nous marchons en ligne droite, le docteur Coraya n’adopte aucun plan d’exploration un tant soit peu méthodique. Le ferait-elle qu’il nous faudrait des lunes de Cendre pour explorer la totalité de la forêt.

— Je ne partage pas ton inquiétude, murmura Wally, manifestement sous le charme de la conversation de leur hôte. Les Lumisiens sont réputés pour posséder la plus belle intelligence des mondes connus. Rejoignons-les, Krill doit se morfondre sur son lit de douleur. Chaque minute gagnée abrègera ses souffrances.

Krill ?

Lecteurs, votre inquiétude est légitime. Sachez que si les choses n’étaient pas exactement au beau fixe pour lui, du moins les événements avaient-ils pris une orientation qui ne manquera pas de vous surprendre. Informés, les deux compères en auraient-ils été plus rassurés ?

D’un saut de puce Plum-Pudding, remontons donc le temps pour éclairer nos diodes à transistor, comme disaient les vieux Tauky-Wauky de Darty la blanche et noire aux cieux rougeoyants.

A peine le sas s’était-il refermé sur les deux compagnons que le docteur Krack avait injecté un contre-poison efficace au malheureux navigateur, lequel, instantanément, s’était senti au mieux de sa forme.

Il avait alors appris, à sa grande surprise, avant d’être jeté en cellule, que la couleur fuchsia du docteur Coraya indiquait qu’elle était arrivée à maturité sexuelle et que les gamètes de ses deux amis tombaient à point. Dans moins de trente-six heures, le groupe atteindrait le centre de la forêt où des caméras dissimulées dans la végétation retransmettraient la cérémonie copulatoire sur des écrans géants installés à chacune des mille sections de l’anneau. Le seul léger inconvénient de l’acte, parmi un océan de félicités, serait la mise à mort inévitable des deux protagonistes mâles. Tradition oblige.

Personne n’ayant songé à débarrasser Krill du senseur rivé à sa ceinture magnétique, il s’était empressé, à peine conduit en sa prison, d’activer les fonctions utiles à son projet. 

« Auto-baké », avait-il souri, bien content de pouvoir se soustraire à la vue de ces purs cerveaux  pas encore affranchis de toutes leurs pratiques ancestrales.

Son plan était simple : il allait lancer un nouveau message radio — une technologie si archaïque que les Lumisiens ne pourraient la déceler — et le vaisseau Arboga 3000, probablement toujours à portée des ondes courtes à bande latérale unique, se dirigerait vers la planète. Mais il lui fallait également alerter ses deux amis et pour cela, réussir à s’extraire de sa cellule. Son invisibilité lui faciliterait la tâche, avait-il pensé.

* * *

"Nouveau Monde", un feuilleton collectif
en
un, deux, trois, quatre, cinq, six et sept épisodes

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Commentaires
K
Mais c'est parfait...lol<br /> Merci.
V
l'amputation aurait évité bien des tracas......mais on ne m'écoute jamais !
E
Nous sommes en train de plancher sur un sommaire général. En attendant, quand tu loupes des billets et des épisodes, tu peux les retrouver:<br /> - s'il s'agit du mois en cours, dans le sommaire publié dans la colonne de liens, juste en dessous du blog-it express<br /> - s'il s'agit du mois précédent, dans les catégories (toujours dans la colonne de liens, à droite), par exemple ici: "n°6 - fanes de mars", où tu trouveras tous les billets de mars, et un sommaire mensuel pour ne pas avoir à parcourir toutes les pages. Et cette fois, parce que c'est toi, un petit coup de pouce: http://fanesdecarottes.canalblog.com/archives/2008/03/31/8325329.html<br /> <br /> Mes explications sont-elles suffisament claires?
P
Voyez Tilu, j'ai eu quelques soupçons à propos de ces Lumisiens et ils se sont confirmés.<br /> Purs cerveaux, certes, mais au terme de quelle évolution ?<br /> Et puis, imaginer qu'ils auraient perdu la trace du seul Icramore existant ? Pas très logique tout cela.<br /> Ils sont certainement très gentils et courtois, mais un vieil atavisme ne s'abandonne pas ainsi.<br /> Enfin Rose(cuisse-de-nymphe-émue) saura nous en dire plus. Avons-nous jamais fini de percer le mystère des existences ?<br /> <br /> Je tiens à vous remercier du cadeau que vous m'avez offert. Le séjour dans le jardin fut exquis et c'est vrai que j'y ai retrouvé ma jeunesse, parmi ces insectes et ces plantes odorantes. oh ! Ces odeurs !<br /> <br /> J'ai oublié que je me trouvais en terres de SFFF, je me suis cru revenu dans le jardin d'Eden !<br /> <br /> Si j'avais possédé quatre membres antérieurs, je n'aurais pas vu malice, j'aurais piaffé à l'unisson de notre ami Wally.
K
Un délire papistachien de premier plan...lol
Fanes de carottes
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