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Fanes de carottes
5 avril 2008

Le jeu du Robot - 1

JohnJohn descend aux Enfers

deuxième partie

Rose

Le chemin était long et brumeux; JohnJohn marchait voûté, le bouclier en avant, en reniflant à cause de l’humidité ambiante, sans pouvoir attraper son mouchoir coincé dans la manche de son armure. Il avait d’abord essayé de rester derrière Héraclès, pour être protégé par sa grande carrure, mais avait dû renoncer. Héraclès titubait, et menaçait régulièrement de l’écraser sous sa masse. Par conséquent, il s’était décidé à prendre la tête de l’expédition. Malgré l’obscurité, il était difficile de passer inaperçu à cause de la démarche lourde de son compagnon et de ses fréquents hoquets.
Finalement, JohnJohn entendit le bruit sourd d’un corps qui s’abat. Il se retourna, secoua le bras de son compagnon allongé… Un ronflement lui répondit, tandis que la main d’Héraclès écartait l’importun et le projetait contre un rocher glacé. Ce n’était rien comparé aux sueurs froides qui coulaient dans le dos de JohnJohn : Héraclès venait de sombrer dans le sommeil, l’abandonnant seul au milieu du gouffre noir, lui qui n’avait dû son adoubement qu’aux points obtenus à l’épreuve écrite d’histoire de la chevalerie ! Comment pouvait-il s’endormir là, dans cette humidité inhospitalière ? dans ce silence traversé de bruits inquiétants ? comment pouvait-il s’endormir alors que fondait sur eux cet étrange volatile ?
A peine JohnJohn eut-il le temps de le voir qu’il s’était déjà posé devant lui, menaçant : « Vou-vou, vouvou, vous êtes, pro, propro-proba, sûrement Thanatos ? » bégaya le pauvre JohnJohn en essayant de dégainer son épée, sans succès. Il aurait dû la nettoyer plus souvent. En même temps, elle servait si peu, et les accidents étaient si vite arrivés…
Tandis qu’il s’escrimait, il lui revint en mémoire une histoire que lui racontait sa mère, celle d’un certain Orphée, qui avait réussi à pénétrer aux Enfers en chantant. Ma foi, il pouvait déjà essayer ça. Et de se mettre à chanter, en bégayant, la chanson à la gloire du vin et de l’amitié qu’il avait entendu Héraclès chanter quelques heures auparavant.
L’effet fut immédiat : on entendit, des profondeurs de la caverne, le long hurlement d’un chien qui hurle à la lune. Un autre cri, puis un autre encore s’unirent au premier. On n’entendait plus chanter JohnJohn, qui s’égosillait de plus belle. La forme noire et ailée s’était remise à voler et décrivait au-dessus de lui des cercles nerveux. Finalement, une silhouette surgit de la brume et poussa un grand cri :
« ASSEZ ! Qui ose ainsi troubler ces profondeurs par ces cris discordants ? » C’était une femme au teint livide, moulée dans une robe noire brodée de salpêtre et de toile d’araignées.
« Je suis Perséphone, l’impératrice du royaume des Ombres. Que viens-tu faire, vivant, au pays des âmes légères ? Ce n’est pas un endroit pour toi, débarrasse le plancher ! »
JohnJohn tenta de s’expliquer. Il bredouilla, bafouilla, pria difficilement la dame de l’excuser pour cette intrusion, admira le vestibule du palais, fit comprendre que son ami épuisé (et un peu ivre) la remerciait par sa bouche de son hospitalité, qu’il était désolé de ce manque de tenue, qu’il serait flatté de porter ses couleurs lors d’un prochain tournoi (si toutefois il dépassait les éliminatoires), qu’il… La reine des Ombres l’interrompit d’un nouvel « ASSEZ ! » bien avant qu’il ait eu le temps de dire tout cela. « Va-t’en cuver ton vin ailleurs, ivrogne ! et  rends ces terres à leur profond silence ! »
Perséphone s’éloignait, tandis que les cris des chiens, quelque part dans le noir, devenaient plus menaçants, et que le démon ailé l’attrapait par les épaules et le poussait vers la sortie avec des coups de pied au derrière.
« Je viens, je vien-viens… ALCESTE ! » se mit à crier JohnJohn, et pour une fois il ne bafouilla pas. La souveraine tourna la tête et lui dit ces paroles glaciales : « Trop tard ! Elle vient d’embarquer sur la nef infernale… Tu peux faire une croix dessus ! »
Cependant JohnJohn se débattait pour échapper aux coups de Thanatos et il se mit à courir droit devant lui. Plutôt que vers la sortie, son sens de l’orientation le mena sur la berge du fleuve infernal, et il aperçut dans la lumière mourante les traits d’une belle femme triste à l’arrière d’une barque qui quittait le quai. N‘écoutant que son courage, ou plutôt n’arrivant pas à freiner son élan, notre héros se retrouva barbotant dans le fleuve. En fait, ce n’était pas vraiment un fleuve ; plutôt une sorte de coulée de boue glacée, dans laquelle les rudiments de brasse qu’il avait appris au cours d’un séjour à la mer ne lui furent d’aucune utilité. De plus, son armure l’entravait et la pudeur l’empêchait de s’en débarrasser là, au milieu de tout ce monde, malgré l’épaisseur de la brume et le manque de limpidité du fleuve. Cependant, une corde qui servait à l’amarrage flottait à l’arrière de la barque et JohnJohn s’y accrocha résolument, réduisant à néant les efforts du batelier qui poussait sur une longue perche pour faire avancer le bateau sur les eaux peu fluides.
« Eh vous, là-bas, lâchez ça tout de suite et attendez votre tour ! Non mais franchement ! comme si vous n’aviez pas tout le temps devant vous ! Je parie que vous n’avez pas votre obole ! Passager clandestin ! » et il brandissait maladroitement la perche gluante de vase en menaçant de l’abattre sur JohnJohn.
Celui-ci avait remonté la corde et se trouvait maintenant très près du spectre blanc et mélancolique qui devait être Alceste. Ignorant les menaces du vieux batelier, il entreprit de lui parler : « Ve-ve, ve-ve, venez a, a, a—vec moi ! » essayait-il de crier en tendant vers elle une main boueuse. La jeune femme se précipita en arrière et poussa de grands cris : « A moi, au secours ! Laissez-moi tranquille ! Aaahhh ! » Cependant JohnJohn avait réussi à agripper sa robe, et, déséquilibrée, la jeune femme tomba à l’eau en hurlant.
JohnJohn l’attira à lui. Il avait lâché la corde et se rendit compte qu’il avait pied - le fleuve n’était en fait pas très profond. Prenant la jeune femme dans ses bras à la manière d’un pompier sortant d’un brasier une victime évanouie, il entreprit de regagner l’autre rive. Sauf que la victime ne cessait de gesticuler, de lui assener coups et claques, et de pester au sujet de sa belle robe qui était foutue.
Sur la berge, un comité d’accueil les attendait : il y avait là Thanatos, Perséphone, mais aussi un énorme chien à trois gueules et toute une armée de chauve-souris…

***

Des vapeurs brûlantes montaient des deux baignoires où étaient étendus JohnJohn et Héraclès. Des servantes entrèrent avec des flacons d’huile de bain et celle qui s’approcha de la baignoire de JohnJohn tordit un peu le nez, tant l’odeur de vase et de pourriture restait prégnante. « Je verse tout le flacon » fit-elle d’autorité, et JohnJohn sentit une délicate odeur de fleur se mêler atrocement à la puanteur des marais infernaux. 
Héraclès, très en forme, aspergeait d’eau les servantes. Il leur racontait pour la cinquième fois comment il avait fait des nœuds avec les trois têtes de Cerbère, décoché un bon coup de poing dans l’estomac de Thanatos et fait une révérence à Perséphone, avant de saisir Alceste hurlante et de la ramener au pas de course chez Admète. JohnJohn avait eu du mal à suivre, car il était assez mal entraîné. Des exercices réguliers de maniement de la massue et de course en peau de bête ne lui feraient pas de mal ! Et puis, ajoutait Héraclès, un sommeil réparateur, c’était important pour garder la forme. Bien dormir, c’était son secret pour accomplir les plus grands exploits !
Admète entra, expliqua à Héraclès qu’Alceste ne paraîtrait pas devant eux ce soir-là car elle devait d’abord subir quelques rites de purification…
− Et prendre un bon bain, gloussa Héraclès, qui parfois manquait de délicatesse.
… mais que le reste de la famille lui exprimerait toute sa reconnaissance au moment du dîner et que, de toutes façons, la maison serait toujours ouverte et la table mise pour celui qui avait ramené sa chère épouse de la mort… ainsi que pour ses amis, ajouta-t-il avec un air pincé à l’intention de JohnJohn, toujours englué dans son bain de vase.
− Tu vois, frérot, conclut Héraclès, quand on est poli et qu’on sait se rendre utile, on est toujours bien accueilli partout. Prends-en de la graine.
Et il plongea la tête sous l’eau.

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Commentaires
T
extra, je me suis bien amusée...<br /> Je vois bien le personnage de JohnJohn....<br /> Un Pierre Richard nouvelle génération pour le rôle?
R
Merci, MAP !<br /> Papistache, qui me proposeriez-vous dans le rôle de JohnJohn ?
P
Rose, comptez-vous revisiter toute la mythologie ?<br /> Votre écriture nous permet de bien visualiser les scènes ; avez-vous des projets pour une série télé ?<br /> <br /> Pour enseigner l'histoire aux collégiens ? <br /> <br /> En plus vous gratifieriez vos spectateurs d'une morale à l'issue de chaque épisode, certains messieurs du ministère de l'éducation nationale devraient être séduits par une telle fresque audiovisuelle.<br /> <br /> En attendant, bravo pour cette première livraison. <br /> Vous nous direz pour les prochaines.
M
Récit haletant et plein d'humour !<br /> On s'y serait cru !<br /> J'ai bien aimé l'adoubement uniquement dû aux points obtenus à l'épreuve écrite d'histoire de la chevalerie !
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