Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Fanes de carottes
8 mars 2009

Le feuilleton du dimanche

Ceux d'en bas

onzième épisode

Papistache


(juste avant...)

Messidor appuya ses épaules à la paroi du boyau. Ainsi  Jounga, cet agent de Ceux d’en haut, avait-il proposé le même marché à Intergure qu’à elle-même. A quoi cela rimait-il ? Combien d’autres alors ? Messidor se prit à imaginer une armée de postulants à un strapontin près de Ceux-d’en Haut, aussi déterminés qu’elle à éliminer tout rival faisant obstacle à l’ascension. Jounga était une ordure de la pire espèce. Il n’avait probablement jamais eu la moindre envie d’ouvrir l’Eldorado à quiconque.

Intergure s’approcha du recoin où Messidor se tenait. Il ruminait. Accepter de supprimer la jeune femme pour accéder au sein de l’élite ne lui était pas apparu plus vil que toutes les compromissions auxquelles il s’était laissé aller depuis sa sortie des boyaux où son enfance s’était déroulée, toutefois, un sentiment enfoui le taraudait. Des scrupules : il commençait à ressentir des scrupules. Lui, le vil exécuteur des ordres les plus bas, il éprouvait la vacuité de son existence, un méchant coup de blues venait alourdir ses pensées.

Messidor retint son souffle. Sa main plongea dans sa poche et s’affermit sur le manche de son poignard, celui-là même qui avait ôté la vie de ce gamin naïf, amant novice mais prometteur, là-haut, à l’entrée des caves. Au souvenir de leurs ébats, son ventre se contracta. Elle grimaça. La lame était entrée comme dans du beurre. Le sang avait giclé sur l’image de la petite fille. Lentement, la jeune femme leva son bras et, toujours retenant son souffle, s’apprêta à plonger l’acier entre les omoplates de son misérable compagnon d’aventures. Combien d’autres devrait-elle éliminer pour gagner sa place ?

Le bras allait s’abattre quand une boule de muscles lui fondit dessus. Le couteau lui échappa de la main et disparut dans l’eau croupie. Intergure fut entraîné dans la chute des deux corps et joignit ses efforts à ceux de Messidor pour tenter de se débarrasser de l’agresseur. La lutte semblait inégale. Le nouveau venu déployait une force peu commune. Les coups pleuvaient sur le visage des deux agents doubles. Messidor luttait pour empêcher l’eau d’entrer dans ses poumons et Intergure, qu’une volée de coups au plexus avait plié en deux, cherchait un second souffle. Rongi frappait, frappait. Il laissait exploser sa colère et aurait massacré ses deux adversaires si l’image de Daisy ne s’était superposée à celle de Messidor qui ne se débattait plus.  La jeune brute éclata en sanglots et souleva le buste de la jolie blonde inerte. Il pleurait. Il pleurait sa peur, sa haine, l’abandon de Daisy. C’était trop pour lui. Il hurla comme une bête et ses cris se répercutèrent aux parois des tunnels. Le sang qui coulait des plaies de Messidor rougissait l’eau autour d’elle mais nul ne s’en apercevait, car soudainement, les dernières lumières venaient de s’éteindre, comme si une main avait abaissé un interrupteur général. De la poitrine de Rongi, les cris finirent par cesser. Un impressionnant silence s’installa.

L’obscurité était totale, tout le réseau souterrain plongé dans la nuit. Alors, les survivants en fuite, et ils étaient plus nombreux que certains lecteurs seraient tentés de supposer, se résolurent à mourir. Chacun s’immobilisa. A quoi bon tenter le moindre déplacement ?

L’eau clapotait, ballottée par les tout derniers remous. Bien que trempés jusqu’aux os, les fugitifs transpiraient. L’air vicié, saturé d’humidité, rendait la respiration difficile. S’ils avaient pu faire une comparaison, les malheureux auraient décrit leur situation à l’égal de celles des bagnards de Guyane enfermés au mitard sous un soleil de plomb. Ils ne tiendraient pas vingt-quatre heures dans cette étuve. Même les enfants retenaient leur souffle, conscients que tout effort abrègerait leur existence.

***

Daisy s’éveilla.

Elle était allongée dans un grand lit aux draps extraordinairement immaculés. Une douce lumière émanait de lampes cachées derrière une paroi translucide qui courait tout autour du plafond étrangement haut. Un fin tube, lui-même transparent, venu de derrière sa tête enfonçait l’une de ses extrémités dans son avant-bras. Elle se sentait détendue comme seule la lecture de la Cuisinière provençale avait réussi, jusque là, à le faire.

L’air qu’elle respirait se chargeait de senteurs inconnues. Ses joues lui parurent fraîches. Un énorme édredon blanc posé sur son ventre, comme celui qui garnissait la couche de la vieille Viv avant la grande fuite précipitée, lui masquait la vue. Elle n’apercevait que le haut d’une porte qu’une simple baguette gris perle distinguait du blanc nacré de la peinture des murs.

La jeune fille voulut repousser cet encombrant coussin pour surveiller la porte des yeux. Il lui semblait qu’elle ne serait pas parvenue à se lever. Une extrême lassitude s’était emparée de son corps. Lentement, elle souleva son bras gauche. Le droit, sur lequel était placée la perfusion, lui parut impossible à déplacer. Ses doigts se posèrent sur le sommet du rond oreiller qu’elle voulait écarter quand elle tressaillit. L’édredon s’était mis à bouger et non seulement elle avait ressenti le mouvement du bout des doigts mais elle l’avait éprouvé à l’intérieur de son ventre...

Derrière la tête du lit de la jeune fille, une caméra de surveillance venait de détecter ses mouvements. De brefs éclairs verts clignotèrent, signaux que Daisy ne pouvait apercevoir. Elle laissa retomber sa main contre son flanc. Avantagés par leur expérience du monde de Ceux d’en haut, les lecteurs auront déjà compris, sinon l’issue de cette extraordinaire aventure collective, du moins la nature de la rotondité qui masquait à Daisy la vue sur la porte close de sa chambre.

Dans le couloir qui menait à la chambre de la petite-fille de Pope, des pas, bien que feutrés, se firent entendre. Un groupe de plusieurs personnes se dirigeait vers elle. Un spasme lui parcourut le corps, ce qui provoqua une nouvelle réaction dans la demi-sphère qui lui cachait la vue.

— Laissez-moi entrer seul, je vous appellerai, décida une voix masculine.
— Vous avez parfaitement raison docteur, lui répondit une autre voix.

Daisy sentit un frisson lui remonter des pieds jusqu’au sommet du crâne, sa peau se hérissa de milliers de boules nerveuses.
— POPE ! ! ! hurla-t-elle. Elle venait de reconnaître la voix de son grand-père.  C’était IMPOSSIBLE. Elle avait procédé elle-même à sa toilette funéraire... Il s’était affaissé au pied de l’échelle au retour d’une de ses sorties périlleuses. On avait procédé aux échanges de bougies fondues. Pope était mort ! Rose l’avait raconté en long et en large. « Le rictus que la mort avait placé sur son visage », enfin, elle ne l’avait pas inventé ? Rose, c’est bien ce que vous avez écrit ?

Daisy tenta de se soulever, mais son corps ne lui obéissait pas. Avec une lenteur infinie, la porte s’ouvrit. D’abord, la jeune fille ne perçut que le sommet chauve du crâne d’un homme mûr qui vint se ranger à son côté.

— POPE ? C’était la voix de Pope ? J’ai entendu Pope !
— Calmez-vous, mademoiselle l’élue, l’heure des explications est arrivée.

Daisy, prisonnière de son engourdissement —le lecteur aura deviné qu’il était provoqué — fit mine de se calmer. Elle bouillait. Des explications du docteur, elle retint que si Rose avait longuement décrit la mort du grand-père, elle avait néanmoins, sagement, ou étourdiment, omis de décrire les conditions de son incinération ou inhumation et Ariane, pressée de suivre Verox dans l’air brûlant et hostile de la planète, ne s’en était pas préoccupée. Dans la confusion du départ du jeune homme, deux de ses vieux amis, plus chenus que lui-même mais amis toutefois, avaient subtilisé le corps du vieillard et administré le remède qui avait fait cesser la léthargie provisoire dont il avait été affecté. Ariane, complice, avait joué prudemment la carte du changement de décor pour jeter un peu d’ombre sur les agissements des vieillards. Comment l’auteur de la Collection avait-il survécu à l’inondation des couloirs ? Cela, Daisy ne voulut pas l’entendre, Ariane elle-même l’ayant tu. La jeune héroïne exulta et Pope ému aux larmes pénétra dans la chambre, suivi de Verox qui, un peu honteux, regardait la pointe de ses chaussons d’hôpital. Honteux car, les tests ADN l’avaient montré, c’était lui le père de l’enfant que Daisy allait mettre au monde d’ici quelques heures. Mais laissons à Daisy le temps de se retourner et après tout, c’est Ekwerkwe qui a révélé au monde la grossesse de la petite-fille de Pope, à elle de dévoiler à Daisy le nom du père.

La sœur de Verox ne put réprimer ses larmes, son oreiller se couvrit de flaques humides.
— V’rox... V’rox... co... comment ?

Le médecin  poursuivit son discours. Pandora ne s’était pas trompée, la compagne que Tilu et Papistache avait donnée à Intergure avait bel et bien poignardé le jeune homme. Souvenez-vous, au chapitre six : « Le casque, devenu inutile, se détacha et roula de côté, dévoilant un visage sur lequel était figée pour toujours une expression d’intense stupéfaction… » Le casque ! Le casque ! Pas la tête. En fait, la lame du couteau avait dévié sur les boites de rations alimentaires chapardées par le jeune homme et le sang que tous avaient cru voir jaillir sur la photographie n’était que la sauce tomate des rations. La sauce tomate ! Verox avait feint la mort pour mieux contrecarrer l’action des deux traîtres à la cause. La dynamite confiée au vieux Maximilien, Ekwerkwe confirmera, c’était lui, ainsi que cent autres actions qu’il aurait loisir de conter plus tard.

— Et Jim ? Jim est-il… il est … mort ?
— Bien sûr que non, il joue dans le parc, avec les autres petits. C’est Tilu qui mène les rondes, elle sait s’y prendre, c’est son job. Tu verras comme il a forci. Il a toujours faim. En fait, c’est Ekwerkwe qui l’avait soustrait aux difficultés. Elle lui a ouvert un sas de sécurité et l’a guidé ici, en haut, pour le préserver. Cette histoire devenait de plus en plus dangereuse pour les jeunes figurants et l’assurance refusait de couvrir les risques. Ekwe a bien agi, mais tu comprends qu’elle ne pouvait rien dire au risque de modifier le scénario.

Epuisée par tant de révélations, la jeune fille s’endormit, ou bien le petit geste que le docteur opéra auprès de la perfusion augmenta-t-il sensiblement la dose de narcotique qui fit effet immédiatement ?

Pope, Verox et le docteur sortirent de la chambre. L’accouchement ne serait pas provoqué avant dimanche 8 mars à 9h00. Dans le couloir, un gardien de grande taille veillait entre deux portes : celle de la chambre de Daisy et celle de Messidor. La naissance des jumeaux, que cette dernière portait, était programmée pour le mois suivant.

Quand Verox passa devant le gardien, vigilant mais en tendre conversation avec InFolio, qui, bien qu’elle l’ait fait naître, n’était pas insensible à l’animalité dégagée par le joli garçon, le futur papa lui asséna une tape amicale sur l’épaule et  sourit au gentil couple avec reconnaissance.
— Bonne journée tat’InFolio et salut, Rongi… ça baigne les amoureux ?
InFolio rougit tandis que Rongi redressait son torse chaud et puissant.

Si l’on avait ouvert la porte de  la seconde chambre, les lecteurs auraient pu apercevoir Intergure veillant Messidor. A sa demande,  Verox avait consenti, avec soulagement, à lui abandonner ses droits à la paternité sur les jumeaux qu’elle attendait. Devenir père, d’accord, mais pas trop n’en fallait non plus pour un début. L’amour de ces deux-là s’était, contrairement à leurs attentes, renforcé pendant l’organisation des secours aux malheureux coincés dans l’obscurité des boyaux malsains d’en bas. Papistache avait éteint les lumières et chacun sait combien la nuit est propice aux rapprochements des différences.

***

Voilà, Ceux d’en haut vont se rencontrer et se congratuler autour de la naissance du petit dernier-né de la Collection. MAP, spécialiste de l’art, officiera, son A.P.N., à la main et autour d’une coupe de champagne rosé et d’un plateau de petits fours frais dressés par Julatilu, ils avoueront y être allés parfois un peu fort avec leurs personnages — Ceux d’en bas — mais, comme ils ont confié au plus fleur bleue du groupe la mission de clore le destin des petits et des modestes, alors leur sommeil ne sera-il pas trop troublé au souvenir des turpitudes engendrées par leurs cerveaux bouillonnants.

Ils évoqueront ensemble les cris d’InFolio : « Où est passée la Collection ? Pope, Verox, pourquoi m’avez-vous abandonnée ? » Formant bloc autour de leur projet d’écriture, Ceux d’en haut tenteront de convaincre leur public que douze épisodes pour une Collection, ce n’est pas si mal après tout.

Certainement, une autre fois, ne pourront-ils encore s’empêcher d’en découdre avec tel ou tel, mais tant que veillera sur leur petit univers la sagesse du vieux Papistache, les mondes continueront à tourner sans que rien ne soit réellement grave ni définitif — surtout pas définitif — aux pays des imaginaires.

Fin
(provisoire?)
 

Publicité
Publicité
Commentaires
P
InFolio, je parviens parfois à transformer des êtres de chair en clones de papier. Dans l'autre sens ? Je vais essayer mais je ne promets rien, continuez à chercher de votre côté.<br /> Je suis content de vous avoir réjouie.<br /> <br /> MAP, vous ébaubir me comble. Franchement c'est la seule issue que j'ai entrevue et, ma foi, je la trouve assez cohérente avec les autres épisodes.<br /> J'attends l'avis des autres co-auteurs.
M
Ah Papistache j'en reste baba ! Je suis ébaubie !<br /> Enfin on vous connaît ... mais vous savez habilement ménager vos surprises !<br /> Comme vous avez dû vous amuser à cette écriture et à sa relecture ! Je m'en vais d'ailleurs relire ce dernier épisode où l'on rencontre les auteurs et leurs personnages !<br /> Un immense bravo !<br /> J'ai passé un excellent moment d'étonnement et de rire ....
I
Oooooohhhh !!! bé là ! <br /> <br /> Excellent ! Il fallait bel et bien passer par Maître Papistache pour clore le feuilleton. Merci à Pandora d'avoir suggéré poursuivre le récit, bravo à Ekwe d'avoir proposé Papistache pour clore. Foi d'InFolio, je n'aurais jamais songé à faire ça ! Je m'incline face à Papistache. <br /> <br /> PPsssst ! Papistache, vous laisseriez Rongi sortir de la feuille de papier ? ;o)
Fanes de carottes
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Publicité