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Fanes de carottes
10 juillet 2008

L'été en liberté

L’avis d’un enfant d’Ecosse

                                    par Jean-Lin Fatty

Depuis que je suis né, je surveille mes gigantesques gardiens.
Nous vivons dans une jolie et douillette maison verte, avec mes frères, bien alignés, bien nourris. Je peux voir, pas très loin de la nôtre, d’autres maisons vertes presque identiques.
J’ai passé là toute mon enfance. Pas grand chose d’autre à faire que de grandir, immobile, enfermé comme je le suis depuis toujours. Pas grand chose d’autre à faire que de les observer.
Ils sont deux. Leurs voix sont rocailleuses, leurs gestes lents. L’un et l’autre se traînent et s’occupent de nous à sa manière.
Elle l’appelle « Robaireux ».
Lui, ne l’appelle pas. Il ne l’appelle plus. Il l’a appelée, autrefois, peut-être… A mon avis, c’est une vraie histoire d’amour ! Devant ses copains, tous aussi immenses que lui, il dit parfois « la Vieille ». Mais seulement à partir du 6 ou 7ème apéro au soleil sur la terrasse.

Jusqu’à ce jour, ma vie a été finalement très tranquille. Mes frères se moquent un peu car je philosophe et j’observe. Selon eux, je donne trop souvent mon avis. Mais je n’en ai que faire. J’ai, comme eux, gentiment prospéré sur maman. A part une frayeur ou deux, rien de particulier…
Un jour, un lapin évadé du clapier a failli abréger ma courte existence. Mais Robaireux est intervenu vigoureusement pour rattraper le fuyard et lui faire réintégrer sa cage sans ménagement. Quelques jours plus tard, le fugitif a été suspendu à un clou, déshabillé et coupé en morceaux. Je ne l’ai jamais revu.
Un autre jour, une bête volante a tourné longtemps au-dessus de notre gîte. A mon avis, le Robaireux déguenillé en paille et en bois qui est planté un peu plus loin lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas se risquer dans les parages.

Mais, ce matin, c’est le grand remue-ménage. La Vieille a éructé : « A midi, c’est chipolata au lard ! » Robaireux a haussé les épaules, fait : « Pfff ! » et s’est mis en branle. Lentement, il s’est hâté de se rapprocher de ma maison, un panier sous le bras.
Méthodiquement, il a ratissé toutes les petites maisons vertes du voisinage. Bientôt, ce fut le tour de la mienne. Quel tremblement de terre ! Et avec ça, jeté dans le panier, sans précaution, du haut de son mètre soixante. Quelle hécatombe ! Quel chambardement ! J’ai failli en être tout cabossé. Mon frère de droite a subi des dégâts. Il est tout griffé. Et tout ému. A mon avis, le manque d’habitude…
A mon avis, c’est pour se faire pardonner qu’il nous berce maintenant gentiment, à son bras, dans les allées du jardin. Il déverse délicatement le contenu du panier, devant la Vieille, sur la table de la cuisine. Elle le remercie par une phrase d’encouragement : « Y a que ça ! ».

De la table où je suis étendu, je la vois : elle s’est attelée à briser toutes les petites maisons vertes, expulsant les habitants d’un doigt autoritaire, les faisant tomber dans un bol transparent. Les maisons vides sont jetées dans le panier vide qui se remplit…
Je ne vous raconte pas le dérangement quand est venu le tour de ma maisonnée. Je n’ai jamais revu mon frère de gauche. Par contre, j’ai fait la connaissance du frère de mon frère qui logeait à un étage supérieur au mien. Un type sympa que j’espère revoir un jour. Par contre, un voisin de rue m’a bien déçu. A mon avis, c’est un gars avec la tête de l’emploi, le contenu valant le contenant.
Je me demande ce que La Vieille mijote maintenant. Elle a réclamé un « fêtou » à Robaireux et depuis, nous tournant le dos, elle gesticule face à un grand instrument qui rayonne de la chaleur, pire que le soleil, et agite deux ustensiles métalliques, dont le fameux « fêtou » (Je me demande si nous n’allons pas passer à la casserole).
Dans les cris et hurlements de mes congénères effrayés, je glisse du bol vers le fêtou. C’est parti pour un bain d’eau bouillante. Je n’ai jamais eu aussi chaud. Je me sens devenir tout ramollo, même tout ramolli. Plusieurs de mes frères se sont bien éclatés. J’ai honte pour eux. Ce n’est pas très poli d’exposer ainsi ses entrailles à la vue de n’importe quel quidam ! En deux temps trois mouvements, c’est cuit, et nous sommes sortis de l’eau par un ustensile troué.
La Vieille nous transporte dans les airs. Ceux qui en sont encore capables gémissent. Avec mes camarades tremblants, je me retrouve dans l’assiette de Robaireux. A mon avis, ce n’est pas juste pour nous regarder qu’on nous a mis là…

Maintenant est venu le supplice de la fourche. Après avoir réussi à m’échapper à plusieurs reprises, je me trouve coincé entre un bout de lard et un bout de pain. Pas moyen d’y échapper. La fourche m’enfourne dans la grande bouche de Robaireux.
Quand j’écris « bouche », c’est par pure courtoisie, c’est un enfer, pavé de solides tours d’émail jaunâtre, pour celles qui restent et de splendides chicots pour celles qui ont mal survécu. Gare à celui qui s’égare dans une carie. A mon avis, pour celui qui y est pris, le séjour durera jusqu’à complète macération. Quelle odeur infecte, ce mélange de chairs de mes frères, des saucisses, du lard, ces vieux relents des veilles des veilles.
Passage presque obligatoire au broyage, concassage, délayage. J’échappe de peu à la dernière paire de meules du fond. Une grosse pelleteuse rouge me pousse dans un puits sans fond. Erreur, il y en a un ! Par miracle, je suis encore indemne. Une énorme rasade de vin rouge bon marché vient noyer tous mes espoirs, ainsi que les chagrins de Robaireux. Je flotte dans les liquides alcoolisés accumulés depuis le réveil. Je bois la tasse. Coma éthylique… A mon av…

***
la règle du jeu (c'est la liberté)

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Commentaires
M
Celui qui a dit que les petits pois sont rouges était un de-vin ! <br /> J'aime bien les jolies petites maisons vertes ...
V
.
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