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Fanes de carottes
1 juin 2008

Le feuilleton du dimanche : "Matins anachroniques"

Joyeux anniversaire, Georges

par Papistache


Résumé de l’épisode N° 5
Georges accueille, dans sa classe, le fameux écolier à la réputation sulfureuse.  Le gamin s’enferme dans un mutisme à couper au couteau. A midi, poussé par la faim, l’enseignant s’oblige à déjeuner à la cantine scolaire. Julie essaie d’en apprendre un peu plus sur lui. Se penchant vers lui, elle lui dévoile, outre certains avantages, un procédé pédagogique innovant pouvant provoquer un déclic salvateur chez les élèves en difficulté et, comme nous sommes dans une fiction, le miracle opère.

Episode N° 6

                                                                                                         Samedi 22 mars 2008

Après une nuit reconstituante, Georges se lève de bon matin, prend une douche glacée et se rase en sifflotant.
Non ! En fait, il a mal dormi. Son impuissance à laisser transparaître ses sentiments l’a torturé toute la nuit et le soleil est déjà haut quand il émerge de son lit en bataille.
Il jette un regard à son téléphone en bakélite noire. S’il avait des lucioles, il composerait sur le cadran circulaire les six chiffres du numéro de téléphone de Julie.
Un soir, son courage l’a poussé jusqu’au Minitel, cette merveille de la technologie française, et il a facilement trouvé ce qu’il y cherchait. Julie Sparadrap, 14 avenue des Mouettes Plates. 06.88.60. Un numéro palindromique, tout en boucles, des chiffres aux galbes aussi tentants que…06.88.60 ! Il les a griffonnés, sur son sous-main, jusqu’à plus soif.
— Si la première copie que je corrige affiche zéro faute, je compose le numéro.
Il se maudit de son manque de bravoure. Une copie sans faute ! Il pourrait aussi bien parier sur une éclipse surprise.
Cette fille lui plait mais elle le tétanise. Le combiné du téléphone pèse une tonne et ce ne sont pas ses biceps de sauterelle qui lui permettront de le soulever. Résigné, Georges s’assied à son bureau et commence la lente annotation des copies. Celle de Kevin, il la garde pour la fin.

Le soleil, indifférent, poursuit son ascension. Enfin, la copie de Kevin-Lucignolo.
— Voyons si les conseils avisés de la psychologue amie auront produit quelques effets.

Le pir anniverser de ma vie

Ma mère ma offer  acheté des cadeau
cété pas ce que je voulé avé demendé
mais elle ave même pas mis de papié
tien quelle ma dit tu as ça pren les
même pas de papié sa se fait pas
javé du chagrein et de la peine
j’en est pas voulu je les est pas axsépté
j’ai monté  crimpé dans ma chambre et j’est pleuré
déchiré des photos de quand j’été petit

le vieux, lui, le mec à ma mère il est pas
resté il est allé au bistro café siroté aspiré
des bières
je l’aime pas le vieux il dit qu’il et mon père
mais je sais que ses pas vrai
cété le pir anniverser que j’ai jamais
des cadeax pas embalé sa le fé pas
aprè j’ai quand mêm desendu quand Rémi
ma apelé pour le gateau été au chocolat sucre
j’aime pas elle le sé ma mère
c’est le vieux qui l’aime le sucre
moi kevin cé le vieux quil aime pas


Georges pleure.
Les larmes jaillissent de ses yeux, littéralement, elles retombent devant lui.
Il pleure, il n’essaie pas de se retenir.
Il ne sait pas combien de temps il laisse ainsi couler ses larmes.
Une fontaine, l’image est vraie. Une fontaine.

Il reconnaît son histoire. Kevin, ce gamin imposé par l’inspecteur, a raconté l’anniversaire de ses dix ans à lui, Georges.
Le film se déroule au travers du rideau de larmes qui continuent de sourdre. Vingt-quatre années de rétention.
Il revoit son instituteur de CM2, Monsieur Lenclume, qui lui avait fait confiance malgré ses crises de révolte qui parfois le jetaient en transe. Il se revoit, une fois de plus il avait été gardé pour recommencer un devoir bâclé ; son maître lui avait dit en posant sa main sur son épaule :
— Georges, tu écris bien, tu as des idées, l’orthographe ça s’apprend, les idées tu es le seul à pouvoir les faire germer et ton cerveau c’est un terreau où poussent de belles graines. J’ai confiance en toi, Georges ! Tu es quelqu’un de bien.

Par quel miracle Kevin a-t-il pu avoir connaissance de cette journée d’anniversaire qu’il avait lui-même oubliée ? Georges penche les yeux sur la copie de Kevin qui se délite sur le sous-main. Il tend les doigts pour la sauver du naufrage mais le papier achève de se fondre dans les élégantes volutes griffonnées : 06.88.60
Il ne reste rien de la copie de Kevin. Cela n’a aucune importance parce que Georges réalise que lundi, seuls vingt-neuf élèves se rangeront au pied de l’escalier.
Mais lundi c’est encore loin.

— Driiing !
Une seule sonnerie. Georges décroche.

— Mon petit Georges, c’est vous ? J’ai pensé… vu la belle journée que la météo annonce pour demain, nous pourr...
— Oh ! Solange ! C’est gentil ! Mais, je ne peux pas, je dois secourir des mouettes plates, vous comprenez Solange, des mouettes plates... les secourir, hein ? les mouettes... Solange ?
— ...
— Solange ! Je suis heureux ! Arghhhhhh ! Je suis heureux !



Fin

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Commentaires
T
Mais pourquoi ai-je sauté une étape?....<br /> Un acte manqué, Tilu la psy.... en aurait bien besoin d'un ces temps ci...<br /> C'est un très beau dernier épisode... Il y a des gens qui marquent des vies... <br /> Papistache.....
V
Oh, je vais y réfléchir, alors. Je vous rends déjà les deux copies que je vous ai promises, et puis j'avise :D .
U
Val et Véron : voilà la référence de l'appel http://fanesdecarottes.canalblog.com/archives/2008/04/12/8231275.html (culture des fanes de carottes). Val, si tu veux raconter le rendez-vous de Georges et de Julie, nous dire ce qu'ils sont devenus des années plus tard, n'hésite pas, ça ferait un épilogue aussi au défi de réécriture que nous a lancé Papistache !
V
...il me semble , Val, qu'il y a un appel d'été qui donne presque carte blanche pour écrire ce que l'on veut . (Une des fanes peut elle préciser ?) Pourquoi ne pas écrire l'épilogue ?
V
Oui, c'est innatendu. C'est très joli.<br /> Dommage qu'il n'y ait pas un dernier épisode... Juste un dernier! Pour raconter ce qu'on a envie de deviner pour la suite :D .
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