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Fanes de carottes
7 mai 2008

Taupe et monte-en-l'air - 1

La quête du Graal

Annick Bott

Dans la voiture qui les a amenés par une petite route discrète, ils ont troqué leur tenue de jeune mâle occidental (jeans Lewis, tee-shirt vantant les charmes d’une station de sport d’hiver, baskets), contre un pagne court, pour la fabrication duquel ils ont dû acheter un palmier assez déplumé.

Il a bien fallu en passer par là. Les essais avec des feuillages de chêne, d’érables ou de tilleul s’étaient révélés lamentables. Même les feuilles de vigne, malgré leur réputation et leur usage ancien par les sculpteurs et les censeurs, ne s’étaient pas montrées pratiques.

En complément, des peintures corporelles s’avéraient nécessaires. Le rayon peinture d’une grande surface leur en offrit toute une gamme de couleurs bien violentes et de qualités diverses. Le choix fut difficile. Ils optèrent pour un rouge et un vert particulièrement vifs. Pour la chevelure, des perles, faciles à trouver dans un rayon jouets pour fillettes. Pour les plumes, là, gros problème. Finalement, ils avaient investi dans l’achat d’un coq superbe mais vivant. Leurs mains garderaient longtemps les cicatrices de ses coups de bec. Toutefois, ils avaient réussi à lui emprunter les plus belles rectrices de la queue. Puis ils avaient relâché l’animal, furieux et penaud, en pleine campagne, l’accompagnant de leurs excuses, de leurs prières et vœux de longue vie, confus d’avoir atteint à sa virilité.

Tout cela ne les satisfaisait pas totalement, à leur tenue manquait un élément essentiel : un étui pénien. Aucun matériau disponible au supermarché, rayon bricolage, rayon arts ménagers, ne remplissait les conditions requises. Tuyaux, tubes divers, P.V.C., métal… Trop mou ! Trop rigide ! Trop large ! Trop étroit ! (Aïe!) Trop court ! Trop long ! Et bien encombrant pour se déplacer. Ils avaient dû y renoncer, à leur grand regret.

Maintenant, ainsi vêtus, ils s’avancent vers leur objectif : la petite porte du modeste musée de province. Munis de quelques outils adaptés, ils l’ouvrent rapidement et pénètrent dans un long couloir. Les carrelages glacent leurs pieds nus mais ils marchent courageusement vers la salle d’exposition où ils savent trouver l’objet de leur quête : Talpa Cookii. La taupe de Cook, du nom du célèbre navigateur, qui en 1770, a découvert l’île de Petimathou, où vivait cet animal exceptionnel, totem du peuple de nos deux monte en l’air.

Talpa Cookii, est un petit mammifère de vingt centimètres environ, au pelage gris et ras, aux longues pattes postérieures capables de se détendre comme des ressorts et de la propulser par bonds prodigieux sur la terre ferme.

Cette bestiole était tellement stupide qu’elle se faisait prendre dans les pièges les plus rudimentaires, tels que des filets ouverts fixés en haut des plus grands totems de bois sculpté. Ainsi, on en captura beaucoup car on appréciait sa chair au goût de lapin et sa fourrure très chaude. Une entreprise, basée en Nouvelle-Zélande s’était même spécialisée dans la confection de moufles en peau de Talpa Cookii, moufles achetées massivement par les membres des expéditions polaires.

Résultat, plus aucune taupe de Cook vivante n’avaient plus été observée depuis des décennies.

Le gouvernement tribal de l’île réclamait donc avec vigueur qu’on lui rendît les rares spécimens empaillés conservés dans des musées européens. Ces demandes restées sans réponse, de guerre lasse, les chefs avaient décidé de récupérer, par la force si besoin était, ces animaux sacrés.

Voici donc le but de nos deux visiteurs. S’ils ont revêtu leurs tenues traditionnelles, reconstituées si difficilement, c’est qu’ils se savent investis d’un devoir sacré.

Enfin, ils trouvent la vitrine où se trouve l’objet désiré. Vite, lire les étiquettes. Talpa Cookii, voilà ! Vite, dans le sac ! Course dans le couloir. La voiture. Retour rapide dans leur chambre d’hôtel. D’abord se laver. La peinture est vraiment de bonne qualité. Ils frottent, s’usent la peau. Ils sont presque à vif, mais l’honneur de leur peuple est sauf.

Enfin, ils peuvent prendre le temps de contempler avec vénération le Saint Graal retrouvé. Avec dévotion, ils déchiffrent l’étiquette. Soudain, ils pâlissent. Qu’est-ce qui est écrit en si petite lettres ? « SPECIMEN FEMELLE » Une femelle ! Honte sur nous ! Mission ratée. Les chefs vont être furieux. Une femelle ne saurait être un animal sacré !

Ils se regardent. Une solution s’impose. D’un seul geste, ils jettent l’étiquette à la poubelle.

Depuis le retour de son totem, l’île de Petimathou jouit d’une prospérité inattendue.

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Commentaires
M
Bravo pour cette quête du Graal. Quand j'ai vu l'annonce du jeu : "Taupe et monte-en-l'air", j'avoue que je n'avais pas beaucoup d'idée, je suis d'autant plus admirative à la lecture de ce texte !
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