Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Fanes de carottes
5 juin 2008

Passager Clandestin - 1

Le peuple de l’herbe – Aventures de l’aigremoine
Annick Bot

Victoire ! Quel soulagement ! Je n’espérais plus. J’attendais depuis si longtemps déjà. Des nuits, des jours, sur ce bord de route, j’étais là, si angoissé, prêt pour le grand départ et rien ne se passait.

Pourtant, en cette fin d’été, la campagne était animée. La moisson achevée, les tracteurs tirant de longues remorques transportaient les dernières balles de paille. Les automobiles filaient vers la ville proche. Mais personne ne me remarquait.

Parfois le vent faisait courber les arbres, onduler les graminées sauvages. Des feuilles s’envolaient, la poussière tourbillonnait, je frissonnais. Mais rien de plus. Toute cette agitation me laissait indifférent. Ce n’est pas cela que j’attendais si anxieusement, comme tous mes semblables, tous aussi pressés de partir.

Enfin, ce matin là, une occasion. Il était venu un marcheur au pas sportif, accompagné d’un chien dont les longs poils balayaient les herbes basses. Ses énormes chaussures à la semelle épaisse et crantée foulaient le sol. Manquant de peu de me faire écraser, j’ai pu saisir cette occasion pour m’accrocher à lui.

Quand le pied s’est levé de nouveau, je tenais bon, ancré dans les fibres de son pantalon. Fugitivement, j’ai noté que certains de mes compagnons s’étaient crochetés comme moi au tissu, et d’autres plus loin, s’arrimaient aux poils du chien.

Pour nous, l’aventure commençait, et l’espoir naissait. Pourtant, pas à pas, secousse après secousse, certains renonçaient déjà. J’en ai vu un bon nombre, pas assez solidement accrochés, lâcher prise dès les premiers pas. D’autres étaient mal placés, là où le tissu frottait, et ont été broyés comme par des mâchoires et répandus sur le sol en petits morceaux.

Mais je ne me laissais pas aller, résistant au balancement rythmé du marcheur. A tout instant, je craignais la rupture de mes crochets. Mais j’étais solidement bâti, et je ne cédais pas.

Bien plus tard, la verdure environnante et le chemin de terre furent remplacés par une surface bleue. Des mains rageuses secouèrent le pantalon, et en brossèrent énergiquement la surface. Heureusement, à ce moment là, dans le mouvement, le tissu m’enroba, et blotti dans ce recoin la main brutale m’épargna.

Qu’advint-il de mes compagnons arrachés ? Tout espoir de renaître serait vain sur cette surface bleue qui semble bien infertile.

Le marcheur ronchonna alors contre toutes ces saletés qui s’accrochent aux vêtements, puis après avoir sifflé et dit « en voiture », il reprit sa litanie à propos du chien qu’il faudrait brosser.

Saletés ? Mais nous voulons juste partir pour survivre. Nous sommes des colons à la recherche d’un nouveau monde pour accroitre nos chances de nous développer, là où la surpopulation menace moins.

Si la chance nous sourit, nous qui dépendons de la faune pour nous déplacer, nous pouvons trouver un ailleurs pour nous accueillir. Alors, après ce voyage accroché à ce pantalon, si l’endroit de ma chute, est favorable, je profiterai de la prochaine pluie pour germer. Une allée cimentée ? Un massif de rosiers chétifs ? Dans l’herbe drue d’une pelouse ? Rien ne convient. Soit, je mourrais de soif, soit mon descendant serait traité comme une mauvaise herbe, soit je serai tondu.

Si j’ai de la chance, alors, je donnerai naissance à un vigoureux pied d’aigremoine, aux petites fleurs jaunes, qui deviendront des fruits crochus. L’avenir sera assuré.


Ce texte répond à l'appel Passager Clandestin.

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Moi j'adore...
P
J'aime beaucoup cet art de la pédagogie, foi de Hulotte de Boult-Aux-Bois !<br /> <br /> Donnez-nous en encore, je serais toujours prêt à prendre ma leçon à vos côtés.
V
je ne brosserai plus jamais mes vêtements de rando de la même façon.
M
Très bonne idée.<br /> Je souhaite bon courage à cette gentille plante épizoochore ...
Fanes de carottes
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Publicité