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Fanes de carottes
4 avril 2008

Le jeu du Robot - 1

JohnJohn descend aux Enfers

première partie

Rose

JohnJohn connaissait Héraclès depuis sa plus tendre enfance. Il se trouve que sa mère avait été l’une des nourrices du jovial enfant. Pas très longtemps… Son sein, livré à l’avidité du bébé, s’était vite tari - et JohnJohn, son nourrisson légitime, était resté un vilain avorton, tandis que l’enfant Héraclès, grand quatre fois comme les nourrissons de son âge, manifestait une santé florissante et engraissait de jour en jour.
Si JohnJohn avait toujours nourri des sentiments ambivalents à l’égard de son frère de lait, celui-ci, d’une bruyante bonne humeur, n’en avait jamais pris conscience et engloutissait toujours son faux frère dans d’étouffantes étreintes dès que l’Aventure et la Fortune les réunissaient.
Cette fois, la lourde paluche d’Héraclès s’était abattue sur son épaule alors qu’il faisait griller quelques lézards sur un maigre feu de bois et s’apprêtait à passer une nuit à la belle étoile. D’énergiques éternuements avaient mis fin à l’accolade (JohnJohn était allergique aux poils de félin, or Héraclès se drapait primairement dans une peau de lion qui commémorait un exploit lointain…). Puis le géant hirsute l’avait invité chez un ami, qui ne leur refuserait pas, l’assura-t-il, son hospitalité, à lui comme à son frère de lait. C’était à quelques stades de là, chez un certain Admète. La porte de leur hôte à peine ouverte, Héraclès s’était lancé dans de bruyantes manifestations de joie. Il avait envahi le vestibule, s’était précipité dans le jardin intérieur où il avait déchiqueté un modeste arbrisseau pour se tresser une couronne de buveur et avait couru à la salle à manger en refusant les bains délassants que proposaient de jolies servantes. A contre-cœur, JohnJohn l’avait suivi, enveloppé d’une aura de poussière (cela faisait quatre, non cinq nuits qu’il passait ainsi dans la boue des chemins). Lorsqu’il était entré dans la grande salle, Héraclès puisait déjà son sixième pichet dans le grand cratère de vin et pestait contre la paresse des domestiques de céans.
Boire le ventre vide n’éclaircit pas les idées, la mère de JohnJohn le lui avait toujours dit. Avant qu’on ne leur apporte un premier plat de viande, Héraclès racontait déjà pour la troisième fois comment il avait fait des nœuds avec les têtes de l’hydre de Lerne, mais il se perdait dans la description de son ouvrage. S’il avait été une fileuse, tout aurait été à recommencer.
Une servante entra. Héraclès lui donna une bruyante tape sur les fesses et lui enjoignit d’aller chercher sa flûte pour mettre un peu de gaieté dans ce festin funèbre. Il est vrai que le palais était particulièrement silencieux – l’hôte d’ailleurs ne s’était pas montré – silencieux, mis à part des sanglots étouffés qu’on entendait dans le lointain…
La servante déposa devant Héraclès un civet de lièvre fumant, dont JohnJohn dut arracher une cuisse pour être sûr qu’Héraclès lui laisserait une part. Puis il mâchonna en rêvassant, l’estomac un peu contrarié par les queues de lézards qu’il avait ingérées peu avant.
La servante s’était éclipsée. Elle revint en poussant une grosse femme, une flûte à la main, qui protestait en s’essuyant les yeux.
Héraclès tapa du poing sur la table et lui ordonna de jouer un morceau gai sur lequel il puisse chanter, tandis que la jeune servante irait chercher son maître. La flûtiste préluda, la mélodie se cassa une première fois dans les larmes, et puis la musique s’éleva, un peu maladroite, et Héraclès entonna en braillant un couplet à la gloire du vin et de l’amitié.
JohnJohn abandonna son os de lièvre et attira à lui la jolie servante, qui revenait avec un plat de légumes. Il préleva une part de nourriture puis sourit à la jeune fille, de son sourire le plus séducteur (tout en la retenant par le bras, pour le cas où son charme ne suffirait pas). Son regard canin et bienveillant à peine posé sur elle, elle fondit en larmes. Le maître ne viendrait pas les accueillir, ça non ! S’ils savaient ce qui s’était passé au logis ce jour-là, madame était si bonne ! et si belle (et jeune aussi, d’ailleurs)… Madame était morte, cet après-midi-là… La Mort l’avait emportée !
JohnJohn ne réagissait pas. Pourtant quelque chose s’éveillait dans son âme de chevalier. Un chevalier se doit d’être chevaleresque, de faire preuve d’audace et de courage, de batailler pour la veuve et l’orphelin, donc pour les veufs aussi… Il se leva, desserra à contre-cœur son emprise sur le bras de la jeune fille et se dirigea vers Héraclès qu’il tira par sa peau de lion : « Dis-dis donc, Héra-héra-raclès, dit-il, tutu, tutu n’es, n’es pas jà, jà ‘scendu, auz’ Henfers ? »
Héraclès se tut. Il allait lui raconter pour la treizième fois comment il avait noué ensemble les têtes de Cerbère (à croire que notre héros ne disposait que d’une seule technique de combat), lorsqu’il s’avisa enfin des sanglots qui résonnaient dans le palais. La jolie servante pleurait, la joueuse de flûte, profitant de l’intermède, hoquetait bruyamment. Mais enfin que se passe-t-il dans cette maison ? tonna Hercule, repoussant son assiette qui se brisa sur le sol en mosaïque. Les servantes s’arrêtèrent immédiatement et la plus jolie reprit son récit : la maîtresse de maison, la jeune et belle Alceste, était morte ce jour-là, et gisait blanche et pure dans sa chambre à coucher, prête à être livrée aux flammes. Toute la maisonnée se lamentait autour de son corps, son époux Admète, ses enfants, ses beaux-parents, et tous les domestiques, affligés par la perte d’une si noble dame.
Les yeux d’Héraclès roulaient dans leurs orbites. Comment ? tonitrua-t-il, il y a un défunt dans cette maison, et l’on m’accueille et l’on me laisse chanter sans rien m’en dire ! Il arracha la couronne qui ceignait encore sa tête. Il regarda JohnJohn avec des yeux furibonds : il aurait pu l’avertir, au lieu de le laisser se comporter de la sorte ! Eh bien puisque c’était ainsi, il n’avait qu’à descendre aux Enfers pour rechercher la dame, il n’y avait plus que ça à faire, pour s’excuser ! Moi, ébaucha la bouche arrondie de stupéfaction de JohnJohn, sans qu’aucun son se décide à en sortir. « Oui, toi, imbécile, faux frère ! » Puis, avec un soupir : « Bon, je vais venir pour te donner un petit coup de main. »

(à suivre...)

Merci aux premières commentatrices pour leur oeil de lynx.

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Commentaires
P
J'ai peur que mes héros d'adolescence ne prennent un sérieux coup de trivialité.<br /> <br /> L'Olympe est bien malmené ces temps-ci !<br /> <br /> Où se cachent donc les nouveaux dieux du siècle ?
R
Ah ! rendez-moi tout de suite cet os de poulet qui appartient à une strate préhistorique du texte, si bien ensevelie qu'on l'avait oubliée !
T
Map m'a oté la cuisse de poulet de la bouche!!.. ;-)<br /> L'enfer.. c'est dans bientôt?....
M
C'est pour quand la suite ?<br /> Amusant la cuisse de lièvre qui se transforme en os de poulet ! C'est pour voir si on suit bien ?
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