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Fanes de carottes
9 février 2008

Jeu du courrier - 4 - ekwerkwe

Quand les voyantes ne voient plus très bien, et écrivent au poète du rez-de-chaussée, il peut s'en passer des choses.

Parmi ces choses, la plus probable, est la réponse du poète à la voyante, faisant appel à son tour au savoir de la voyante. Celle-ci se défilant, le poête est bien obligé de se débrouiller... Voyons comment il s'en sort :

***

Geoffroy Guibert
Poète
3 impasse de la Chaise percée
Rez-de-Chaussée
546 025 Sainte-Perthe-Prés

Madame ma délicieuse voisine,

    Votre lettre, gracieusement glissée sous mon paillasson, m’a plongé dans les délices du désespoir. En effet, je venais tout juste d’élucider l’énigme de la disparition de votre mignonne Minette, lorsqu’elle (votre lettre) m’atteignit. Bien que la possibilité d’une visite à la cave, en votre compagnie, se pare d’un dangereux attrait, je sais que votre Minette ne s’y trouve pas, et il me faut hélas y renoncer.
    Mais laissez-moi, au risque de vous ennuyer, vous raconter le cheminement de mon enquête depuis la dernière lettre que je vous adressai.

    Mon imagination toute remplie de vous, de votre Minette, et de cet étrange poème, je regagnais mon logis après avoir glissé ma missive sous votre porte. Dans l’escalier, je rencontrai Agnès, la charcutière aux bras si joliment dodus, qui m’avait apporté votre première lettre. Que voulez-vous ? l’étroitesse de notre modeste escalier, en rapprochant les corps, favorise les confidences : Agnès m’avoua avoir jeté un œil indiscret à ce courrier qui ne lui était pas destiné. J’excusai bien vite la charmante enfant, qui ne m’a pas caché avoir été motivée par de tendres pensées. Comment en vouloir à une femme qui a le secret des bouchées de pâté ? bouchées dont elle me régala d’ailleurs le soir-même. Bref, j’aurais manqué de cœur en lui gardant rancune.
    Je m’endormis donc repus, et ce n’est point si courant, en ces temps de pénurie où l’on trouve plus facilement, et pour moins cher, des huîtres que de la côtelette d’agneau. Je rêvai que j’étais un secret marchant sous la lune en compagnie de votre Minette… Et au matin, lorsque je m’éveillai, mon esprit purifié comme une vitre fraîchement lavée embrassa le sens caché du poème… et je sus, avec certitude, où se trouvait votre Minette.
    Le nom de Ragueneau vous est-il familier ? Quelques recherches, une rapide étude de la rime et de la métrique, et le doute n’était plus possible : mon mystérieux poème était une très ancienne recette du pâtissier-poète, une longue métaphore dissimulant sous son romantisme échevelé ingrédients secrets et tours de main de maître.
   Oh ! Je suis parfaitement sûr de moi ! Notez l’habileté avec laquelle Ragueneau fait progresser son poème, les éléments qui s’ajoutent les uns aux autres, leur progression, les pauses dans l’action, les reprises, jusqu’à ce dernier et sublime paragraphe, consacré non à la recette mais à l’ingestion du résultat : quelle gourmandise ! N’est-ce point sublime ? Je ne détaillerai pas le poème pour ne point vous lasser (je me contente de joindre une copie de mon étude), nous en discuterons mieux de vive voix.

(image à cliquer)

la_recette_de_Ragueneau

    Restait une question, essentielle : d’où venait ce vieux papier que je trouvai ? Las ! Il ne peut, je le crains, venir que d’une seule personne, une personne suffisamment versée dans les arts culinaires pour être un jour entrée en possession de cette recette – mais malheureusement si peu au courant de l’art subtil de la métaphore qu’elle l’aurait appliquée à la lettre. Ainsi je sais à présent où se trouve votre Minette, et je puis vous assurer que l’accorte Agnès a su transcender la recette du quatre-quarts à l’orange de Ragueneau pour en faire les plus subtiles, les plus divines bouchées de pâté qui se puissent imaginer.
   Permettez-moi donc de venir chez vous ce soir avec quelques unes de ces délicatesses : j’ai acheté à Agnès toutes celles qu’il restait. Les bulles de votre champagne, en sus de se marier idéalement au goût des bouchées, nous permettront de communier ensemble, une dernière fois, avec les ultimes manifestations sur Terre de cette chère Minette.

    A ce soir, donc, bien chère voisine.

 

Votre dévoué voisin et ami,

Geoffroy Guibert

 

Post-scriptum : Si cela peut vous être une consolation, sachez que le boulanger s’est enquis de son chien dans tout le quartier.

 

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Commentaires
T
Extra!!!!... bravo....
K
Rho.....tu y avais donc pensé avant moi....!!!<br /> J'aime être ainsi, finement transportée dans cette histoire...très beau travail.
M
Quelle imagination "gourmande" !!! Adieu Minette et chien du boulanger ! Que va dire Madame Palmyre ?
P
Sa-vou-reux !
Fanes de carottes
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