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Fanes de carottes
18 novembre 2007

Le feuilleton du dimanche

Enfer administratif

Luma

Septième épisode

"Dans la gueule du loup"

***

Résumé de l'épisode précédent
Charbon a pris la direction des opérations avec beaucoup d'énergie, et des arguments très persuasifs. Direction: la gueule du loup - un loup que les rescapés ont bien du mal à identifer...

On y va.

Pas de petits crochets aux mains et aux pieds cette fois : Charbon est pressé et assez armé pour ouvrir sa propre artillerie. Nous obéissons donc. Nous accrochons des cordes pour descendre en rappel. J’ai peur que nous n’ayons pas assez de longueur mais en fait impossible de déterminer la profondeur exacte du gouffre : l’air nous enveloppe rapidement, comme un brouillard plus sombre que l’obscurité ordinaire. A peine sommes-nous descendus de deux mètres que nous sommes incapables de distinguer le sommet que nous venons de quitter. La nuit nous enveloppe, le grondement nous oppresse et je suis sûr de sentir des courants d’air montants ou descendants le long de mon dos. J’ai l’impression de descendre dans la gorge d’une créature plus monstrueuse encore que toutes celles que j’ai déjà croisées jusqu’ici. C’est le moment ou jamais de fausser compagnie à Charbon. Evidemment, coincé entre ciel et terre dans un univers si opaque que seul le mur métallique et la gravité indiquent la direction à prendre, ce n’est peut-être pas très malin de se débarrasser de son guide. Mais c’est justement cette obscurité surnaturelle qui me servira à m’échapper, et rien ne me garantit que je retrouverai les mêmes conditions quand nous serons en bas. Quand au guide, je n’ai qu’à en kidnapper un autre.

Charbon est suspendu entre Est et moi, sans doute pour mieux nous surveiller. J’attends que la jeune pirate soit descendue bien plus bas que lui – je me repère au bruit, il est impossible de la distinguer – et je me mets à traîner jusqu’à rester presque paralysé. Charbon me pousse à accélérer le mouvement tout en me menaçant de me jeter dans le vide si je continue à freiner. Pas de soucis : je prends mon élan et descends d’une traite les deux mètres et demi. Loin en dessous du rebelle, je chuchote dans le noir :

« On doit se débarrasser de lui.

_ Comment ? me répond Est.

_ J’ai un plan. Si je le fais tomber, tu me suivras ?

Malgré nos lampes je ne peux toujours pas distinguer son visage, à peine sa silhouette. La faible lueur de Charbon se rapproche. Est hésite longtemps avant de me répondre dans un souffle, au dernier moment :

_ D’accord. Chef. »

D’accord, quand j’ai parlé d’un plan, c’était sans doute un bien grand mot, mais que ce soit un plan ou une idée générale, l’essentiel c’est que ça marche. Et à mon avis, lui sauter dessus alors qu’il croit nous tenir en respect tous les deux est un plan vague mais assez efficace pour qu’on s’y attarde. Discrètement je fixe ma corde à mon baudrier – il ne faudrait pas que je tombe non plus. Il n’y a pas de système de sécurité. Il tombera et si j’ai de la chance il tombera de haut. Je ne me fie plus à ma vue pour le repérer mais uniquement à mon ouïe, en tentant d’ignorer le grondement qui me broie la cervelle. Il passe assez près de moi pour que je me lance. Du pied, je prends appui contre le mur et je lui saute dessus, un saut d’une étrange apesanteur, suspendu à ma longe, retenant mon souffle pour qu’il ne m’entende pas, un geste que j’espère mortel, silencieux et surtout irrépressible…

Il n’y a personne sous mes doigts. La respiration que j’ai entendue il y a à peine quelques secondes a disparu, Charbon a disparu, ne laissant que le mur froid derrière lui. Avant que je comprenne ce qu’il fait, il ressurgit dans mon dos et me heurte violemment la tête d’un coup de pied. Obnubilé par le mur, j’avais oublié que cette bataille se jouait en trois dimensions et pas totalement à plat. Et j’avais oublié aussi que Charbon est un agent administratif. Autrement dit quelqu’un de dangereux. Ma tête sonne encore lorsque je sens le froid d’une lame contre ma gorge. J’entends un cliquetis derrière moi. Est a tenté quelque chose et j’ai assez gêné Charbon pour qu’il n’ait rien pu faire. Il lui dit :

« T’as pas intérêt à te servir de ce truc sinon je tue ton copain. »

Elle lui a donc pris une arme. Et je devine ce qui va se passer. Elle n’a aucun intérêt à le menacer. Elle veut se débarrasser de lui. Et elle ne me considère vraiment pas comme son copain.

Elle tire, une belle rafale qui éclaire bizarrement plus que nos torches, des centaines de balles crachées en une seconde dans un périmètre assez large pour qu’elle soit sûre de ne pas rater sa cible, et bien sûr Charbon n’a pas le temps de mettre sa menace à exécution et de me trancher la gorge, il me sert même de protection et une fois l’enfer d’acier terminé, je suis encore vivant. Pour combien de temps, je ne sais pas. Par quel miracle, je ne sais pas non plus. Mais je suis vivant. J’ai mal partout, tout particulièrement à la tête et à la jambe. Et je suis vivant. Charbon hurle et tombe, j’accompagne sa chute d’un coup de pied – la bonne jambe – et j’avoue que cet instant me ravit.

Pas de bruit d’impact : soit Charbon est tombé sur quelque chose de mou, soit ce puits est vraiment très, très profond. Même son cri s’est très vite noyé dans le grondement omniprésent.

Est m’appelle timidement :

« Hého ? Heu… vous êtes toujours là ?

_ Oui, je suis toujours là. Et je vais bien, ne t’en fais pas.

_ Ok. Heu, je… je suis désolée, je sais que c’était risqué, mais…

_ Mais tu n’as pas besoin de moi pour sortir d’ici et ce type était un danger pour toi. Je comprends, tu sais. J’aurais fait pareil si j’avais été à ta place.

_ Pour moi ce n’est pas vraiment un compliment.

_ Tant pis pour toi. Bon, maintenant qu’on est seuls tous les deux, tu veux bien m’expliquer ce que c’est que ce bordel ?

_ Dur à dire. J’ai corrigé les erreurs de système tant que j’étais sur place…

_ Et Charbon t’a laissée faire ?

_ Il ne comprenait rien à ce que je faisais et il n’avait aucune idée du temps que c’était censé prendre. Maintenant je suis prête à vous suivre parce qu’on aura besoin de Silver pour trouver la sortie et qu’on ne sera pas trop de deux pour l’obliger à nous aider. Mais avant que vous me braquiez votre revolver sur la tête, n’oubliez pas que je suis la seule à savoir où on doit aller.

_ Oui. Parfait. Tu peux être sûre que je n’oublierai pas. De toutes façons, maintenant tout ce qui m’importe c’est d’arriver à sortir d’ici vivant. Alors s’il te plaît, parle-moi de ces anomalies.

Est reste silencieuse un long moment. Est-ce parce qu’elle réfléchit à ce qu’elle peut me révéler ou parce qu’elle cherche comment formuler les choses ? En tous cas, elle a à peine commencé qu’elle s’arrête net à la seconde même où j’oublie la question que je viens de poser : le terrible grondement s’est arrêté. Pas en douceur, le bruit n’a pas décru, non, il s’est arrêté brutalement, comme si le molosse dans la gorge duquel nous nous glissons s’était brusquement réveillé, à présent terriblement vigilant à notre présence. Le choc me fait sursauter et c’est un miracle que je ne lâche pas ma corde. Dans le silence aussi opaque que l’air qui nous entoure, je n’ose pas parler. L’impression de m’enfoncer dans la bouche béante d’un monstre est plus forte que jamais et je frissonne si violemment que je dois m’arrêter. J’entends tous les bruits que provoque la descente d’Est et je réprime l’envie de lui crier : « Stop ! Ne bouge plus, sinon ça va te repérer ! ». Mais je ne dis rien. La peur m’envahit les entrailles et monte jusqu’à ma gorge, paralysant chacun de mes muscles au passage. Le bruit léger des pieds d’Est repoussant la paroi de métal m’accompagne encore quelques temps mais décroît rapidement. La panique me force à décoller de mon perchoir et à rejoindre l’autre le plus vite possible. Elle n’a donc pas peur ?

à suivre...

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