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Fanes de carottes
2 décembre 2007

Le feuilleton du dimanche

Enfer administratif

Luma

Neuvième épisode

"Tractations"

***

Résumé de l'épisode précédent
Enfin dans la gueule du loup, Est et Martin reçoivent un accueil... très personnalisé. Et visiblement, les robots n'ont pas particulièrement besoin de Martin.

Les robots qui m’entourent se connectent les uns aux autres dans un bourdonnement d’octets. Apparemment mon coup de poker n’est pas resté sans effet, ça négocie sec là-dessous. Enfin j’espère. Finalement la chose qui m’a attrapé fonce à toutes roulettes jusqu’à rejoindre la soubrette et Est est guidée d’une manière nettement plus civilisée. Re-connection et négociations. C’est plutôt bon signe. Au moins je ne vais pas être désintégré sur cette moquette rouge cannibale – sans doute pour la préserver de l’indigestion, mais avec un peu de chance…

Nous atteignons enfin ce qui ne peut être qualifié que de salle du trône. Au centre, un cylindre de verre de plusieurs mètres de haut renferme une masse mauve gélatineuse qui flotte dans un liquide transparent. Tout autour, d’immenses plates-formes de branchement permettent aux robots de se connecter à ce cerveau géant. Entre les interfaces, des sièges s’étagent dans une hiérarchie subtile. Leurs formes sont visiblement adaptées à leurs propriétaires légitimes. D’autres robots. En majorité des androïdes mais tous dotés de gadgets prouvant qu’ils ne sont pas humains : ils affichent fièrement leur nature et si vraiment il n’y a pas d’autres humains que nous dans cette salle, ça ne peut vouloir dire qu’une chose : nous sommes tombé sur la cachette des robots terroristes, ces fameux rebelles traqués dans le pays entier depuis l’attentat du Gouvernement, celui qui a permis la mise en place du système administratif tout-puissant. Ceux qui avaient officiellement disparus sans laisser de traces. Sauf que bien sûr, pour des robots, le passage du temps n’est vraiment pas un problème. Quand je comprends ça je me retiens d’éclater de rire : toutes ces forces mises en place pour les trouver, tous ces cailloux tournés et retournés pour les débusquer, et pendant tout ce temps ils étaient cachés sous l’Administration elle-même ! Audacieux, il faut l’admettre. Ce qui ne me les rend pas particulièrement sympathiques pour autant. Sans oublier que ces crétins se sont installés ici avant la mise en place du brouilleur anti-I.A. – à moins qu’un membre de l’Administration n’ait su qu’ils étaient là et, impuissant à convaincre les autres et à les détruire, ait appliqué une mesure d’urgence ? Avec eux tout est possible, y compris un simple bug particulièrement bien tombé.

Beaucoup de sièges sont vides, mais les trois principaux sont occupés, les plus bas par deux androïdes d’une beauté parfaite dont la moitié du visage a été arrachée pour mettre à nu leur ossature électronique, celui du haut par un robot comme je n’en ai jamais vu. Il parait composé uniquement de perches de métal au bout desquelles sont accrochés divers accessoires, mais ces perches sont pliées et rassemblées jusqu’à former un corps, avant de brusquement s’étaler et se rassembler autrement pour former un corps totalement différent, montrant des accessoires jusque-là cachés. Un nuage de métal assassin. Il a une voix nasillarde.

Impossible de bouger tant que mes geôliers ne m’ont pas lâché et de toutes façons je préfère me faire discret. Est est conduite devant le trône d’où les trois robots peuvent la toiser de tout leur mépris et la soubrette l’oblige d’une poigne de fer à mettre un genoux à terre et à courber la nuque devant eux. Preuve que les intelligences artificielles peuvent être aussi stupides et narcissiques que leurs créateurs. Les deux androïdes défigurés prennent la parole dans un unisson parfait :

« Créature de chair, tu devrais mourir comme tes pairs pour la plus grande gloire de notre race. Cependant tu nous as trouvés, ce qui prouve que tu as été touchée par la grâce de l’Ame de tous les Ordinateurs, et nous avons décidé de t’utiliser. Tu nous aideras à combattre l’espèce putride des êtres de chair et tu le feras pour prolonger ta vie. »

Ils ont découvert la mégalomanie, la haine et la religion. Tant qu’à se débarrasser de l’humanité, ils pourraient au moins tenter de ne pas commettre les mêmes erreurs. D’ici je n’arrive pas à voir le visage de la jeune fille et je tente de lui envoyer par télépathie le message : « Dis oui ! ». Cette tête de mule serait bien fichue de nous faire tuer tous les deux pour une stupide question de principes !

J’entends d’ici son soupir lorsqu’elle répond : « D’accord. Je vous aiderai. »

Je suis amené à mon tour devant le triple trône. Pas de genou à terre, les créatures me jettent au sol avec la délicatesse qu’elles auraient envers un sac de sable et je décide de ne pas bouger, histoire de bien montrer ma soumission et ma bonne volonté. Si j’étais réellement télépathe, je tenterais de toutes mes forces de leur imprimer le message « NE ME TUEZ PAS, JE VAIS SERVIR ». Je me contente de leur répéter que je peux leur être utile. Ils m’ignorent et d’autres robots me traînent vers une autre porte. Certain que cette fois c’est la mort qui m’attend, je m’agrippe à la vie et à tout ce que je peux attraper avec l’énergie de mes dernières forces. Parfaitement en vain.

Mais non, ce n’est pas la mort qui m’attend derrière cette porte, ça n’est qu’une de ses plus fidèles servantes, mon ancienne collaboratrice Silver en personne. Je reste sagement allongé sur le sol en attendant de découvrir ce qu’on va faire de moi et j’observe l’alchimiste par en-dessous. Elle a changé, aucun doute, mais en quoi ? Brusquement je comprend : c’est le sourire. Elle n’a plus son sourire de folle. Elle ne se comporte plus du tout comme une folle. Et quand elle échange avec les robots une série de phrases dans une langue étrangère, je n’ai plus le moindre doute : si Est et moi nous nous en sortons, je devrais à la jeune fille un certain nombre de plates excuses…

Quelque chose s’approche de moi et malgré mes bonnes résolutions, je me recroqueville en gémissant. Fausse alerte, la créature métallique – guère plus gracieuse qu’une boîte à chaussure dotée de chenilles et de pinces – n’en veut qu’à ma jambe douloureuse qu’elle manipule sans précautions. Je hurle de douleur. Je frappe le robot inflexible et ne réussis qu’à me faire mal aux mains. Finalement, il abandonne le terrain et je reste un moment hébété avant de réaliser que la douleur a disparu. Je baisse les yeux vers ma jambe pour voir ce qu’il en a fait. Elle a disparu. A la place, j’ai une prothèse – sans doute dernier cri – qui bouge au moindre de mes désirs. Mais qui ne ressent rien. Cette ferraille maudite m’a tout simplement volé ma jambe. A nouveau je hurle – de colère cette fois-ci. De quel droit m’a-t-il amputé au lieu de me soigner ?

J’oubliais que pour les I.A. rebelles nous ne sommes que des morceaux de viande. Cet appareil leur servira sans doute à me surveiller le temps que je leur serve. Justement la soubrette qui nous avait si aimablement accueillis est de retour et me dit d’une voix chantante :

« Vous allez aider cette femme à détruire l’Administration. Vous lui obéirez en tout, sinon votre prothèse, dont vous êtes indigne, déversera dans votre sang un poison qui vous tuera dans d’atroces souffrances. Passez une bonne journée.

_ Trop aimable. »

Je suis trop hébété pour répondre par quelque chose de plus convaincant.

Silver daigne enfin s’apercevoir de ma présence et me jette un paquetage volumineux. Des explosifs sans doute. Ma tête me fait mal et me donne le vertige lorsque je tente de me lever. Ils n’y ont pas touché. Est-ce parce que je suis moins gravement blessé que je le crois ? Ou parce que ça suffira pour que je tienne le temps de remplir ma tâche ? Ils nous tueront tous les deux dès que nous aurons fini notre travail destructeur, c’est évident, nous allons sans doute placer des explosifs qu’ils actionneront tous en même temps alors que nous serons piégés à l’intérieur du bâtiment. Ce sera la fin de l’Administration, de l’organisation entière de notre pays. Sans parler de l’explosion des moteurs atomiques de l’immeuble, qui devrait rayer la moitié de la ville de la carte : les rebelles n’auront plus ensuite qu’à hériter de toutes nos richesses et à se reproduire jusqu’à dominer le monde. Autrement dit, même si j’arrive à m’échapper, il ne me restera bientôt plus rien vers quoi retourner.

A suivre...

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Commentaires
L
merci pour le compliment !<br /> La jambe en fer est effectivement inspirée de Bilal, et les bureaucrates de Serge Brussolo (lire entre autres excellents bouquins "la mélancolie des sirènes par trente mètres de fond")
S
Cette jambe rafistolée me rappelle "la Foire aux Immortels" de Bilal. Le clin d'oeil est-il volontaire ? Peu importe, d'ailleurs : l'opération chirurgicale réalisée ici a un tout autre but, presque plus vicieux.<br /> En tout cas, chapeau bas à l'auteur : elle a une belle imagination, un style prenant et rythmé et sait tenir ses lecteurs en haleine d'un épisode à l'autre. <br /> Et dire qu'il faut attendre dimanche prochain pour la suite...
K
Argh.....le coup de la jambe !!!!
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