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Fanes de carottes
21 décembre 2008

Le feuilleton du dimanche

Ceux d'en bas

deuxième épisode

Ariane

(juste avant...)

 

     Il fallait se rassurer. Respirer. Souffler. Lever lentement une jambe, et l’autre. Respirer, encore. Respirer toujours. Agir. Courir : braver ces fantômes de l’esprit et leurs projectiles bien réels.
     Verox se mit à marcher, courbé, presque sans même s’en apercevoir. Il se jeta pêle-mêle dans l’un des trous béant du mur de gauche, les yeux fermés. A l’extérieur, un silence glacial se fit. L’atmosphère était brûlante, électrique. Verox sentait des gouttelettes de sueur perler le long de son front. Il faisait chaud. Il faisait peur. Le jeune homme rouvrit les yeux, se leva complètement. Devant lui semblait s’étaler à l’infini une étendue déserte, parsemée de pierres crayeuses et de fruits. Verox, dont le courage réaffluait, osa un œil vers l’espace où les tirs l’avaient si brutalement figé, désarçonné dans son courage adolescent. Rien. Personne. De ce côté aussi, l’espace était vide. Parsemé par ces mêmes pierres, ces mêmes fruits. Le nord et l’est étaient semblables. Déserts. Verox, qui se souvenait des contes de ses parents, avait à l’esprit quelques magnifiques images de la Terre : des lacs, des montagnes, une jeune chèvre assoupie dans les bras d’un beau chevrier, un soleil calme et parcimonieux comme un rayon de miel. Il y avait bien, dans le ciel, cet immense astre jaune et lumineux, mais Verox n’arrivait pas à le regarder, et les perles de sueur qui continuaient à envahir son visage, lui rappelaient sans cesse que s’il restait encore sur terre un thermomètre, celui-ci devait indiquer dans les environs de cinquante degrés.
     Sur le sol, comme autant de soleils morts, des fruits. Des fruits inégaux. Certains, vraisemblablement pourris, crépitaient encore, parcourus de brèves étincelles avant de s’éteindre, immobiles. D’autres avaient conservé leur forme originelle et laissé sur la terre une autre trace de leur venue : comme autant de petits obus, ils avaient vallonné cet espace si rectiligne. Verox, trop curieux sans doute, se baissa pour saisir ce qu’il pensait pouvoir être les projectiles qui avaient failli le toucher. Une intense brûlure parcourut à l’instant même son doigt. Le jeune homme lâcha la pomme qui roula au sol en créant sur son passage un trou d’une dizaine de centimètres de diamètre. La douleur, qui le lançait à un rythme extrêmement régulier, déclencha une démarche mécanique. Verox avançait, sans plus vraiment savoir qui il était. Le temps lui semblait un théorème défunt et ses pieds des soleils vengeurs.

     Il parcourut ainsi plus de trois kilomètres, avant de s’endormir au pied d’un arbre mort. A son réveil, un homme entre deux âges le veillait. Lui aussi portait un scaphandre, mais d’une belle couleur rouge vermeil. Verox, effrayé, jeta son regard dans les yeux de l’homme rouge.
     -    Ne pense pas, murmura celui-ci.
Verox, tétanisé, tenta en vain d’obéir, mais les images de Jim et de Daisy, qui défilaient dans sa tête, rendaient impossible le vide demandé par cet homme. Celui-ci l’empoigna alors fermement, l’entraînant avec lui dans un saut de côté prodigieux. Une pluie de fruits s’abattit sur l’arbre mort. Dans l’air déjà caniculaire, des flammes de trois mètres environ s’emparèrent du tronc décharné.
     -    Ne pense pas, s’écria l’homme. Sinon tu meurs.
     Mais Verox ne savait pas apprivoiser l’absence. Une nouvelle pluie de projectiles s’abattit sur les deux hommes, obligeant l’inconnu à un nouveau saut de côté.
     -    Ça suffit, chuchota alors l’homme.
     Ce fut la dernière chose que Verox entendit. L’homme rouge avait levé la main sur le crâne encore enfantin. Un long silence suivit. Un signe de croix rapide traversa l’espace. L’homme rouge caressa le visage endormi et, sans bruit, attendit.
Quand Verox revint à lui, un léger mal de tête fut sa première sensation. Devant lui, ce démon qui l’avait cruellement assommé le regardait, compatissant.
     -    Avant de me juger, écoute ceci. Ils te voient si tu penses. Ils t’attaquent si tu penses. Un esprit vide est invisible pour eux. Pour survivre au-dessus, tu dois n’être pour eux rien qu’un corps, une coquille vide.
     -    Mais, qui ? demanda Verox, à la fois intrigué et hésitant.
     L’homme rouge ne répondit pas. A la place, il fixa le jeune garçon longuement, d’un regard aimant et compréhensif.
     -    Tu peux retrouver tes parents.
     -    Où ? questionna Verox.
     -    Je peux t’accompagner. Mais tu dois comprendre que les revoir, c’est peut-être ne plus jamais retourner en bas. Les jeunes hommes comme toi sont tous les mêmes ici : ils ont de la famille dans nos souterrains, mais ils connaissent aussi des parents qui ont voulu comprendre et voir par eux-mêmes ce qu’il en était ici. Tu as le choix. Mais réfléchis vite. Ils peuvent revenir à tout moment.
     Sur ces mots, l’inconnu s’écarta. Il s’allongea à quelques mètres de là et ferma les yeux. Verox regarda quelques instants le sol, pensif, puis cet horizon qui n’en finissait pas.

à suivre...

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Commentaires
M
Bonjour,<br /> J'ai trouvé votre blog sur Google de manière fortuite, et j'ai obtenu un site Web très attirant à lire.<br /> Un grand merci de mettre en partage tous ces sujets avec nous.<br /> Continuez encore ;)
P
Comprendre sans réfléchir... quel challenge !
T
Chouette.... mais oppressant comme ambiance... brrr , j'ai la trouille....
M
La tâche va être rude !!! Mais c'est fameusement intéressant de relever un tel défi !<br /> Bravo Ariane, du grand art !
A
Merci Rose :-)<br /> Tu as proposé un début sur les chapeaux de roue, avec plein de petits indices à réutiliser. Je suis contente que la suite te plaise !
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