Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Fanes de carottes
20 novembre 2008

La vie, mode d'emploi - 5

Le grand jeu de la vie

deuxième partie

Pandora

       « Mesdames et Messieurs, j’en ai presque fini de mon exposé… Vous vous demandez certainement à quel moment je vais vous demander d’ouvrir votre porte-monnaie… »

       Il s’arrête à nouveau et lance un regard circulaire sur l’auditoire pendu à ses lèvres, un grand sourire à la bouche. Je jurerais qu’il m’a fait un clin d’œil quand son regard est passé sur moi.

       « Et bien c’est à ce stade de mon histoire, parce que je veux vous parler du bonheur… »

       - J’en étais sûr, il va essayer de nous fourguer la carte du bonheur !

       Nous nous tournons tous vers cet impudent qui a osé interrompre notre si brillant orateur. A la fois dérangés mais aussi quelque peu soulagés que quelqu’un ose dire tout haut ce que beaucoup d’entre nous pensent… Il a une trentaine d’années et des cheveux blonds et bouclés, une paire de petites lunettes rondes et une mallette sous le bras lui donnent un air très sérieux.

       Sans se démonter, le bonimenteur se tourne vers l’homme qui l’a interrompu en lui demandant « Que dites-vous Monsieur ? »

       - Je dis que nous voyons enfin à quoi mènent vos beaux discours. Vous allez bien sûr nous vendre en exclusivité et pour un prix dérisoire la carte du bonheur ?

       Quelques rires sarcastiques fusent de l’assistance mais la majeure partie du public attend la suite de cette joute verbale inattendue.

       « Non Monsieur absolument pas. Ce que je vais vous dire a plus de valeur que toutes les cartes du monde, et j’espère que vous me l’accorderez. Car Mesdames et Messieurs, et n’en déplaise à ceux qui croient tout comprendre quand ils n’ont rien compris… » (Coup d’œil appuyé à l’importun blond.) « … je ne vous vendrai aucune carte du bonheur car je serais un escroc si je le faisais. » (Nouveau regard incendiaire à l’homme blond.)

       « Oui Mesdames et Messieurs, et ce pour la bonne et simple raison que la carte du bonheur n’existe pas. C’est à chacun d’entre vous d’essayer de vous le construire à partir de vos propres cartes et il n’y a pas de jeu type pour cela. On a vu des enfants qui partaient avec des cartes dont pas un joueur, même suicidaire, n’aurait voulu. Et qui pourtant vivaient heureux. Avec parfois l’aide de la carte « Résilience », je vous l’accorde. »

       Mais on a vu aussi des joueurs qui avaient toutes les bonnes cartes et ne se sont jamais sentis heureux. Ils mettaient quelquefois cela sur le compte des cartes « Alcool », « Divorce » ou « Chômage ». Mais nous savons bien que d’autres y arrivent malgré ces mauvaises cartes.

       Et parfois même Mesdames et Messieurs, rien n’expliquait pourquoi ils n’avaient pas su utiliser leur bonne main du départ. »

       Il s’arrête une nouvelle fois et nous fixe d’un regard grave, puis il ramasse d’un geste théâtral les jolies cartes qu’il avait posées sur la nappe jaune pour les mettre dans la poche de sa robe. Il prend sous la table une boule de voyante  qu’il nous montre en la levant bien haut. Puis il saute au bas de l’estrade pour se mêler à nous, tenant sa boule devant lui à la façon d’une tirelire.

       « C’est pourquoi je pense, Mesdames et messieurs, qu’il faut se méfier des cartomanciens et des diseurs de bonne aventure. » Il s’arrête de parler pour nous regarder d’un air amusé. « Au risque de me fâcher avec mon amie Madame Irma. Parce que si l’argent ne fait pas le bonheur, les cartes non plus. Chacun organise à sa façon les cartes qui lui sont distribuées. Chacun en échange certaines contre d’autres en se faisant des amis mais aussi des ennemis. Chacun en pioche de nouvelles ou en dépose d’autres sur le côté. Certaines parties du jeu de la vie sont bien sûr beaucoup plus difficiles que d’autres mais il est possible de modifier la donne de départ. Rien n’est jamais complètement figé. Les dés ne sont pas pipés. »

       Il s’interrompt une nouvelle fois et nous regarde, de beaucoup plus près désormais. Ses yeux aux longs cils très noirs sont vraiment magnifiques, mais un peu exorbités, ce qui rend son regard hypnotique.

       « Oui Mesdames et Messieurs, chacun à sa partie du grand jeu de la vie à jouer. A sa façon. »

       Un grand silence se fait à la fin de cette tirade. Il nous regarde les uns après les autres de ses yeux de braise, s’avançant parmi nous. Personne ne bouge plus et c’est à peine si j’ose respirer. Et tout à coup l’homme blond se met à taper des mains doucement, suivi d’abord timidement par quelques spectateurs puis franchement par les autres. Notre ami le bonimenteur a droit à une véritable standing ovation (il faut dire que nous n’avons pas la possibilité de nous asseoir) et son triomphe a l’air de lui faire très plaisir. Puis l’homme blond sort ostensiblement un portefeuille de la poche arrière de son pantalon, en tire un billet, de 20 euros je crois mais je n’ai pas pu bien voir, et s’approche du bonimenteur pour mettre le billet dans la boule en disant « Merci beaucoup Monsieur et pardon, je m’étais trompé sur votre compte », avant de s’éloigner.

       Le bonimenteur s’incline modestement en le remerciant et d’autres spectateurs sortent qui leur portefeuille, qui un carnet de chèques. Moi-même je dois avouer que j’ai mis un petit billet dans l’urne, et je suis rentrée doucement à la maison, en réfléchissant et en me demandant comment moi j’avais envie de jouer ma partie du grand jeu de la vie. En arrivant au bas de mon immeuble, j’avais décidé d’échanger ma carte « Thomas » contre celle de « Bon débarras » !

* * *

        C’est le soir et les bruits de la fête foraine se sont éteints. Le bonimenteur a fini sa journée de travail et quitté sa tenue de spectacle. Assis à la petite table de sa caravane de forain, il compte la recette du jour en rassemblant les billets par tas de 100 euros. Il lève les yeux quand il entend toquer à la porte et salue d’un hochement de tête l’entrée de son acolyte, l’homme blond aux petites lunettes.

       - Bravo Max, je t’ai trouvé particulièrement bon aujourd’hui. On s’est fait combien ?

       - Attends, j’ai pas fini de compter…

       - Tu devrais parler plus souvent de  résilience, j’ai vu que ça les faisait bien réagir.

       - 540 euros et quelques pièces. Tu crois vraiment pour la résilience ? Je me suis demandé si c’était pas trop...

       - Non, vraiment, je pense que c’est bien. Et puis même le dernier péquin de province en a entendu parler depuis que Boris Cyrulnik passe à la télé. Bon, ça te dit une partie de tarot ? La femme à barbe et Gino des autos-tamponneuses nous invitent.

       - Vendu, si tu ne triches pas comme d’habitude !

FIN

* * *

Une réponse à l'appel La vie, mode d'emploi

Publicité
Publicité
Commentaires
V
Grâce au Fanzine je découvre maintenant certains textes que je n'avais pas lu en temps et en heure...<br /> Celui-ci me plaît bcp!<br /> Le blond, un compère: je n'ai eu aucun doute!<br /> Sourire<br /> Vanina
V
j'ai beaucoup aimé .... aucun regret , même pas pour Thomas !!!
P
Merci beaucoup à vous, et à bientôt MAP ;-)
M
Excellent, vraiment !!!!<br /> Bravo Pandora !
I
J'aime beaucoup ! <br /> Ha ha ha, bien vu, le blond.
Fanes de carottes
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Publicité