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Fanes de carottes
17 juin 2008

Passager clandestin - 2

Go on !

Jean-Lin Fatty

Quel vacarme ! Quel réveil !
Ca vibre, ça roule, ça tangue, ça cahotte, ça tremblote !
Ca clapote ! On dirait qu’il crachote sur la toile. Quel tintamarre !
Ca cahote encore, encore un choc, puis plus rien.
Quel tintouin !
Ca fonctionne, ça ronronne…
Ca sent l’essence brûlée, l’huile chaude, le cuir, la sueur, la peur…
Ca graillonne, ça ronronne…
Dans mon réduit, je suis coincé entre des tubes métalliques recouverts de toile de coton et le dossier d’un siège d’osier.
Doucement, les bruits et les vibrations s’atténuent.
Ca ronronne, ça chantonne…
J’essaie de me remettre de ce brutal réveil. Allongé sur le sol, je peux à peine bouger. La clarté du ciel pénètre chichement dans mon antre. Sous le siège, je peux entrevoir une paire de chaussures de ville. A proximité de l’une des semelles gît un paquet au contenu inconnu. En levant la tête, je ne peux pas manquer deux gourdes qui pendent, accrochées au plafond. Devant ces flacons, une nuque surmontée d’un casque et un col fourré prolongent le dossier du siège. Partant des pédales sous les chaussures, passant sous le siège, courant le long des parois et s’évanouissant dans les ténèbres qui mangent mes pieds, des câbles métalliques longent mon flanc. Chouette cachette !
Ca ronronne, ça bourdonne…
La nuque et le casque disparaissent de ma vue… Mes yeux picotent. Mes paupières papillotent…
Brutalement, le siège est pris de convulsions. Tout s’agite. Le casque entre en danse, un coup à droite, un coup à gauche, et recommence. Puis, la routine reprend son cours. Pour le coup, me voilà tout à fait réveillé. Je me ravigote…
Ca ronronne, bourdonne, chantonne…
Encore une fois, j’essaie laborieusement de changer de position lorsque de violentes secousses viennent perturber la monotonie régnante. Un fétu de paille dans une violente bourrasque… Une feuille morte à l’automne…  Le casque s’agite soudainement. Le fauteuil trépigne. Un violent courant d’air froid parcourt mon réduit. Je sors de ma torpeur.
Ca ronronne, ça bourdonne, ça ronronne…
Pas pour longtemps. J’ai parfois l’impression de me trouver dans un de ces manèges de foire ou des cabines roulent sur des rails, montent et descendent à toute vitesse. Puis tout rentre dans le monotone.
Ca ronronne, ça barytonne, ça bourdonne…
Maintenant, nous sommes dans une très longue, très longue descente. Le casque se penche sur le côté puis disparaît en avant. Maintenant, nous sommes dans une très longue, très longue montée. Quel beau manège ! Ca plafonne.
Ca ronronne, ça ronronne, ça chantonne …

J’ai froid. J’ai faim. Je m’ennuie. Ma mère me manque. Je me suis enfui de la maison il y a maintenant huit jours. Depuis, je traîne dans les rues et je joue au dur. Je vivote... Ma mère me traite comme un enfant et je ne le supporte plus. Je suis un peu chétif et de santé fragile. J'ai cru bon de me cacher dans ce réduit pour la nuit.
Je chantonne.
Mais, qu’est-ce qui se passe ? Voici que le casque et le col fourré ont disparu.  Un violent courant d’air froid me torture le visage et me coupe le souffle. Seraient-ils passés par la fenêtre, aspirés à l’extérieur ? Les chaussures sont encore là, fidèles aux pédales. Ouf ! Dans un sursaut en arrière, mon casque et mon col fourré reprennent leur place et le reste du corps s’écrase contre le dossier, qui avoue sa peine avec des craquements sinistres. Ce n’est pas le moment de dormir ! Quelle frayeur ! J’en oublie momentanément ma faim, mes douleurs…
Ca ronronne, ça ronronne, ça bourdonne, ça chantonne, ça chaconne…
Je viens de trouver un petit canif dans un sac qui traîne à côté de moi. Vite, un petit trou dans la toile.
Ca fonctionne…
Rien à voir. Tout est cotonneux comme dans un nuage.
Tiens, le manège se met en descente en tournant. Deux tours… D’un coup, le bruit cesse complètement.
Ca détonne, ça m’étonne, ça m’impressionne…
Seul un bruit de vent glissant sur la toile émerge du silence ambiant. Le casque se penche sur le côté et crie « L’Irlande, dans quelle direction ? » Pas de réponse. Une vue en un éclair : un bateau, des marins qui agitent les bras. Retour au coton. Toussotements, le vacarme recommence.
Ca refonctionne, ça reronronne, ça rebourdonne…
Mes pensées brumeuses s’envolent vers ma maman. Elle me manque de plus en plus. C’est si agréable d’être un enfant ! Je radote.
Comme un robot, sans conscience, je jette un œil par l’orifice clandestin. Celui-ci m’adresse une jolie carte postale : une digue jetée en pleine mer, un port, des vedettes, une ville, des sœurs jumelles, des parapluies… La fatigue me fait délirer… Il faut que tu te reprennes. De loin en loin, des petites lumières clignotent, dénonçant des villages. Puis, au détour d’un virage, j’entrevois un phare fiché au bout d’une aiguille de fer. Quelques minutes plus tard, des projecteurs nous ouvrent le passage. Des cahots de plus en plus atténués, puis tout s’arrête. Même le vacarme lancinant cesse. On stationne.
Ca ovationne, ça cautionne, ça émotionne, ça canonne…
Les chaussures emportent le casque, la nuque, le col fourré et le grand corps élancé qui les relie.
Ca ovationne, ça passionne, ça déraisonne, ça vibrionne, delirium…
Ca va passer. Ca passe…
Bientôt, il n’y a plus personne.
Je m’actionne, me désemprisonne.
Je saute sur le sol. J’ai faim. Sur la carlingue un calicot mentionne : Spirit of St. Louis.
Je suis le premier gnome, un nain connu pour avoir traversé l’Atlantique par la voie des airs, en passager clandestin.
Go on !

Aéroport du Bourget, le 21 mai 1927.

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Commentaires
C
je suis en pein dedans je viens de coller une photo du spirit of saint louis pour l'exposé de brigand l'aîné
M
Il fallait tenir le coup pendant 33 H et 30 minutes ! Chapeau !<br /> Un récit bien rythmé !
Fanes de carottes
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