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Fanes de carottes
19 décembre 2009

Récits de rêves et cauchemars - 4

Des plumes sur la figure
Mélanie

    Je me réveille. Comme il fait froid ! Avec un léger frisson, je me recroqueville, tout en cherchant de la main ma couverture. Il y a de la terre sur le lit. Surprise, j'ouvre un œil. Dans la demi-obscurité, dans le désordre habituel de mon appartement, piles de bouquins, piles de vêtements, piles de babioles, tout a disparu. Plus d'affaires étalées sur le bureau. Plus de bureau d'ailleurs. Plus de meubles. Plus de papier peint rayé. Plus un seul mur. Au lieu des draps, de l’oreiller, le sol sauvage d’une jungle. Je me redresse avec douceur, assimilant en une seconde toute l’étrangeté de la situation.

    L'endroit n'est pas accueillant. Les arbres étendent leurs branches en des formes menaçantes. Les herbes ondulent ainsi que des serpents. Le vent est d’un froid mordant. J’ai le ventre douloureux et les lèvres sèches. J’ai faim, j’ai soif. Avec cela, je n’arrive pas à y voir clair, comme si mes paupières étaient encore engluées par la fatigue. Mes membres sont lourds, continuant leur repos malgré moi. À genoux, j’entoure de mes bras le peu de vêtements que je porte. Entre le sifflement du vent et le bruissement des feuilles, je distingue le lointain écoulement d’un cours d’eau.

    Le ruisseau était bien plus proche que je ne l’avais cru. En deux pas, j’y suis arrivée. Je me jette dedans pour me désaltérer. Après une dizaine de gorgées, le goût métallique se révèle. Je regarde dans les profondeurs pour apercevoir une caisse enfoncée dans la vase. Il est écrit : « Ceci est un caisson d’uranium ». Sans doute l’eau est maintenant radioactive. En réponse à cette découverte, un changement terrible s’opère en moi. Je me mets à déverser tout le contenu de mon estomac. Agitée de spasmes, sentant mes membres évoluer, je sombre rapidement dans l’inconscience.

***

    Quelque chose me réveille. Le jour s’est levé. Mon état ne s’est guère amélioré. Mes yeux ne parviennent à rien distinguer avec clarté. Je frissonne. Par réflexe, je porte mes mains sous mes yeux. À qui ces membres griffus recouverts d'écailles ? À qui ? Non, pas à moi. Il faut en avoir le cœur net : mon reflet dans le ruisseau me renvoie l’image d’une horrible créature. Des plumes recouvrent mon corps en désordre. Je ne suis plus qu'un poulet géant, difforme et à moitié déplumé, une caille humaine en sous-vêtements féminins. Un doigt poilu sortant du milieu de mon front pointe coupablement ma monstruosité.

    Un petit cri me rappelle au monde environnant, à ce qui causa mon réveil. Je me retourne pour faire face à un aimable visage de singe. Un chimpanzé. Bien que rassurée, je m’interroge sur son accoutrement. Il tient un fouet dans sa main droite. Serait-il doté d’intelligence ? Sa façon de bouger et les bruits qu’il produit semblent indiquer le contraire. Ce n’est que quand je le repousse, pour me relever, qu’un claquement vient me déchirer la joue. La bête sait se servir de son jouet, elle ricane avec sadisme. Comme je fais un mouvement pour lui retirer l’arme, elle fait à nouveau claquer son fouet. Je m’arrête, interdite, et me protège le visage. Il articule une série de petits cris, qui sans doute ont une signification pour un singe, pas pour moi. Je ne réagis pas et le singe s’énerve de plus belle.

    Je ne le remarque que maintenant : dans une ceinture en bandoulière, il porte un revolver. Je n’ose pas croire à son utilité, mais ne me voyant pas réagir à ses ordres, le chimpanzé dégaine. Pas une seconde à me demander si l’animal sait s’en servir ou non, s’il est chargé ou pas. Je me jette sur lui pour lui ravir l’arme. Il se défend bien, me mord un bras, tandis que de l’autre main je lui arrache le pistolet, laissant échapper une détonation dans le vide.

    L’animal s’écarte de moi. Je ne prends plus la peine de réfléchir et je pointe l’arme sur lui. Au moment de tirer cependant, le coup ne part pas. Pour le faire, je réalise qu’il me manque désormais trois doigts. Devant moi, le chimpanzé mâche encore son festin, laissant dépasser deux doigts de sa bouche. Mes doigts ! Si c'est une chose que j'aurais voulu garder ! Prise de panique, je m’enfuis.

***

    Je cours, et c'est la fièvre qui me rattrape. Je tombe à terre, pour ne me réveiller que bien plus tard. Un chien me tire de mon inconscience en léchant amicalement mon visage. Je le repousse un peu, peinant à m’arracher à ma léthargie. Il vient laper la flaque de sang dans laquelle s’étend mon bras, remonte jusqu'à ma main blessée, qu'il lèche avec gourmandise. Je ne retiens pas un hurlement de douleur. Pour empêcher son repas de se retirer, il la saisit fermement dans sa gueule. Il tire avec insistance, autant que moi je bataille, douloureusement, pour reprendre possession de mon membre. La vilaine bête n’en démord pas. J'ai beau la frapper, rien ne la fera lâcher. Arrête, sale bête ! Peut-être me prend-elle pour un vulgaire poulet. La situation me paraît désespérée. Il secoue la tête, jouant avec une proie incapable de se défendre correctement. Enfin, il commence à me traîner toute entière, je ne sais où, sans que je puisse rien y faire. Je perds connaissance, vaincue par la douleur.

***

    Plus tard, c’est sans ma main que je revois le soleil. Ma main droite et j'étais droitière ! Je me relève avec peine et arrive à bout de force sur une vaste plage. Un poignard se trouve sur le sable. Je m'en empare – de la main gauche naturellement – espérant me protéger d'un autre stupide animal qui me confondra avec une volaille. Plus loin est dressé un autel. Je crois reconnaître la personne étendue dessus. Oui, c'est bien lui. Il a pris un peu de poids, mais ça lui va fort bien. Je m'approche, intriguée par le décor. Ses traits sont détendus. Que fait-il ici ? Peut-être l'a-t-on drogué. Les flammes sur le côté me font deviner qu’il s’agit d’un sacrifice. Je comprends alors à quoi devait servir mon couteau. Avec horreur je le jette loin de moi.

   « Sacrilège ! L'affreux sacrilège ! »
   Je m’arrête, comme frappée par la foudre. La voix vient de nulle part, tombée du ciel. Elle est grave et puissante, faite d'accords ensorcelants. Personne ici. Serait-ce à moi que l'on adresse cet avertissement ?
    — Anathème ! Sur elle l'anathème ! Que partout sur le monde, elle rencontre l'adversité, s'exclame encore la voix, toujours plus imposante.
    — Je ne comprends pas, murmuré-je pour moi-même.
    — Anathème ! Sur elle l'anathème ! Que nul être n'ait un souffle pour elle ! me menace-t-on toujours.
   Je me déplace, essayant de comprendre d’où est-ce que la voix peut bien provenir.
   De tous les côtés à la fois !
   
   Alors une peur formidable s’empare de moi. Mon cœur s’emballe à se rompre. Je m’étale à terre dans une position ridicule. Et c'est une autre voix qui semble poursuivre sur la première, plus distante, mais pas moins affreuse.
    « Mais si néanmoins elle découvre la pitié et l'indulgence, qu'alors la terre la prenne ! Anathème ! Sur elle l'anathème ! »
   La voix m’entoure et m’étouffe. Je me sens prise dans un cercle de feu.
    « Mais je ne suis pas coupable ! »
   Comme un écho déformé, les voix répondent :
    — Elle n'en est pas capable !
    — Serait-ce l’heure de ma mort ?
    — Vrai, car tu ne cèdes pas au sort !
    — Étranges cris !
    — Étrange vie !
    — Mon dieu, qui êtes-vous ?
    — Mon dieu, nous sommes tout !
Terrifiée et glacée, je cherche à m’enfuir en rampant sur le sable. Je retrouve alors le poignard que j’avais jeté, qui me lance, à ma surprise, un regard sévère.
    — Et puis, c'est quoi, c'est qui, ce poignard ?
    — Pour suivre nos lois, saisis ce poignard !
   Avec un peu d'appréhension je pose la main sur le couteau, masquant ainsi son regard. Mais malheureusement je comprends quel sacrifice on veut que je fasse.
    — Je ne veux pas faire de mal à la personne que j’aime !
    — Après tu assassineras la personne que tu aimes !
    — Et après que je l'aie fait ?
    — Et après il sera sauvé.
    — Cela se peut ?
    — Assassine-le.
   
   Je me redresse, méfiante, jetant encore des regards autour de moi. Vers lui je m’avance. Il dort encore. Au-dessus de son corps je soulève le poignard, enfin je le tue.

* * *

Une réponse délirante à l'appel "Récits de rêves et cauchemars".

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Commentaires
M
Contente que ce soit ton cauchemar et pas le mien !<br /> Ta transcription est prenante^^
R
Voilà un vrai cauchemar ! On va de supplice en supplice ! le résultat est haletant.
M
Merci ! Merci !<br /> <br /> Il faut rassurer : je n'ai pas fait ce cauchemar en entier.<br /> <br /> Je croyais avoir retiré toutes les références cocycliennes mais je suis encore démasquée apparemment !
P
Bienvenue chez les fanes Mélanie ;)<br /> Tu es sure que c'était un singe et pas une grenouille qui tenait le fouet ?<br /> Moi je crois que tu traines trop dans la mare ^^
M
OUHHHH !!! J'ai du mal à me remettre après cette lecture haletante ! Plutôt rester éveillée que de faire ce genre de cauchemar !!! Que de rebondissements ! Impossible de stopper la lecture, on est vraiment entraîné dans ce délire ! Chapeau Mélanie !!!
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