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Fanes de carottes
27 novembre 2009

Quand Harry rencontre Sally - 2.1

Clair de lune sur Ilion

(Quand Arès rencontre Séléné)

par Rose (Alu)

- - -

première partie
Arès furieux

La nuit régnait sur la terre des hommes, éclairée seulement par l’œil de la lune, et l’aube aux doigts de rose semblait ne jamais devoir venir. Près de Troie aux murailles imprenables, quelques guerriers livraient encore bataille, mais la pesante fatigue écrasait leurs épaules d’airain. Il y avait là Achille l’inépuisable, et quelques Myrmidons au cœur farouche, heurtant leurs épées contre les boucliers à triple peau des héros troyens dont ils empêchaient la retraite. Du haut des remparts, on sonnait le repli et le roi Priam, prisonnier du nuage de pétales de pavot qu’Hypnos faisait couler sur ses paupières, dodelinait de la tête contre l’épaule d’Hécube la cynique, qui lui aboyait d’écumants reproches. Plus sauvage encore, Arès l’échevelé n’avait pas regagné l’Olympe et, dédaignant le massage de nectar que lui avait promis Aphrodite, il aiguillonnait les Troyens fourbus de propos injurieux : « Cœurs ignobles, ce n’est pas le monstre terrible gravé sur vos cuirasses qui vous a transmis son courage, mais bien plutôt un vieillard aux membres débiles qui a insufflé dans vos os son ardeur ! Ô sang dégénéré, ou plutôt eau léthale et altérée, plus prompte à se répandre sur l’arène du champ de bataille qu’à redonner vigueur à vos bras fourbus ! Livrez-vous encore au corps-à-corps, ne cédez pas devant l’assaut furieux des Grecs sans honneur ! Mieux vaut mordre la poussière terrassé par l’ennemi que de rentrer, penaud, chez une épouse qui ne vous ouvrira ni  ses bras ni ses cuisses ! Morphée non plus ne bercera pas ceux que la peur de la mort aura vaincus, mais il les précipitera dans des cauchemars plus effrayants que les supplices infernaux ? ! » Ainsi parlait Arès, et la poussière collait à ses tempes ses cheveux d’un blond d’or. Il allait de l’un à l’autre, dominait les guerriers de sa taille gigantesque, brandissait sa lance jusques aux cieux, comme Zeus commandant au tonnerre, et la terre résonnait de son pas énorme. Aux oreilles des hommes, il grondait ces propos pleins de hargne, et les soldats,  gagnés par un sursaut d’ardeur, tenaient l’adversaire à distance à coups de lance agile et d’épée aiguisée.
Cependant, lorsqu’il arriva aux Portes Scées, il crut que Zeus le frappait de sa foudre – était-ce ce que les mortels éprouvaient lorsque l’inexorable Apollon venait les faucher d’une flèche bien ajustée et déchirait en un éclair la trame de leurs jours ? Toute une compagnie de Troyens avait choisi l’abri protecteur des portes pour étendre leurs manteaux et s’était allongée sur ces couches improvisées. Tous paraissaient profondément endormis. Dans le relâchement du sommeil, leurs armes gisaient à leurs côtés, mollement étreintes par des mains sans force. Certains avaient pris des postures enfantines et se pelotonnaient comme des petits chats au fond d’un tonneau vide. Ils respiraient d’un même souffle fragile et régulier et les boucles sombres de leurs chevelures paraissaient une mer de laine épaisse.
Mais ce n’était pas tout : une forme lumineuse se mouvait entre les dormeurs et son éclat caressant frôlait les visages, s’attardait sur les nuques, démêlait les cheveux. Jamais Arès n’avait vu un être si éblouissant : ni au combat lorsque le soleil de midi nimbait les dieux rivaux d’une auréole aveuglante, ni dans l’alcôve divine d’Aphrodite lorsque la déesse lui dévoilait son corps irisé. Cette forme merveilleuse se mit à flotter au-dessus des hommes et émit une ensorcelante mélopée : « Endymion, mon Endymion, pardonne-moi. Ce soir, ce n’est pas auprès de toi, bel endormi, que je m’étendrai. Vois ces enfants épuisés ! Vois la poussière qui souille leur corps ! Je veux délasser leurs âmes de héros et leur apporter le repos. Ecoutez, mes enfants, l’histoire que va vous conter la diaphane Séléné, qu’elle infuse vos songes et repousse les cauchemars. » L’apparition s’était tournée vers Arès. Des voiles blancs flottaient en ondes douces autour de son corps, mais il pouvait deviner sous leur bouillonnement sa chair radieuse. Il voulait parler, crier même, mais il fut pris d’une soudaine faiblesse. Les cheveux de la jeune femme étaient d’un noir de jais, ceints d’une couronne ornée d’un croissant de lune. C’était donc Séléné, lointaine cousine de cet Apollon qui lui était particulièrement insupportable : il détestait ses boucles, sa lyre et ses chants doucereux. Il arrivait au dieu archer, bien sûr, de frapper au hasard les humains d’une mort soudaine, mais il était bien plus occupé par ses hymnes, ses courses sur le char brûlant du soleil, les nymphes qu’il poursuivait et les chants nouveaux qu’il consacrait à celles qui l’avaient fui. Quelles bêtises que tout cela ! Quant à Séléné, elle passait pour n’accorder ses faveurs qu’à un mortel qu’elle avait plongé dans un sommeil éternel, autant dire une statue, dont les chairs seules s’émouvaient sous ses caresses. Elle passait ses nuits dans l’obscurité des fourrés, chassant avec quelques compagnes, au matin offrant son corps à l’eau des torrents de montagne.
Cependant, de sa belle voix grave, Séléné avait commencé son récit.

(à suivre...)

***

 

Quand Harry rencontre Sally, version épopée antique

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