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Fanes de carottes
29 octobre 2009

Bûchers - 9

« Y a moyen de négocier ! »

Alex Ponterie

- « Putain, six mois qu'ils me font pourrir dans cette cellule depuis mes aveux. »

Je pense avoir fait le tour de ma petite chambre généreusement prêtée par ces chers messieurs de l'inquisition. J'ai bien cru mourir d'ennui, seul, dans cette pièce froide et sombre. Mais le fait est, j'ai eu le temps de le constater, que je n'étais en aucun cas l'unique résident. J'ai comptabilisé, en quelques mois, cent quatre-vingt sept cafards, cinquante deux rats, une centaine d'araignées dont onze espèces différentes, une multitude d'insectes et cloportes en tout genre et même deux couples de chauves-souris qui venaient parfois s'abriter dans ma douce demeure. Il faut souligner le peu de volonté dont  mes geôliers ont fait preuve pour me divertir de ma solitude moribonde. J'ai bien essayé de leur parler, mais je pense, que le niveau de recrutement dans ce corps de métier est très en dessous de ce qu'il devrait être. Il doit se limiter à réciter un grand nombre d'insultes et de tester la résistance des phalanges lors d'un rouage de coups en bonne et due forme.

Et pourtant… Ce n'était pas faute d'avoir essayer de briser cette glace que leur professionnalisme oblige de maintenir entre eux et moi. J'ai tenté tout ce qu'il était possible : politique, religion, cuisine, jardinage, technique de torture, sexe, famille, et autres fadaises diverses. Dans le meilleur des cas, je n'ai eu droit qu'à des crachats au visage, mais la plupart du temps mes tentatives pour créer du lien social se soldait par une raclée mémorable. J'ai donc arrêté toute stimulation amicale à ma dernière molaire cassée. J'attends ma libération. Impatiemment.

Si j'ai bien compris, je serais libéré après une punition dont je n'ai pas bien saisie la teneur exacte. D'ailleurs, je n'ai pas non plus très bien compris de quoi l'on m'accusait. Il faut dire que l'inquisiteur, avec ses grands airs, me parlait seulement en latin ou en espagnol. Ma langue natale est le français et j'ai toujours été attiré par les langues anglo-saxonnes qui, je pense, sont beaucoup plus mélodieuses à l'oreille. De toute façon, par delà les considérations linguistiques, le tisonnier du bourreau et la multitude d'heures en apnée forcée dans une eau glacée m'auraient fait avouer tous les plus grands crimes du royaume commis ces dix dernières années. J'ai assumé totalement ma lâcheté et ma docilité peu virile lorsque j'ai acquiescé de la tête à la sempiternelle question incompréhensible que me posait le petit teigneux de l'inquisition.

Mais, c’est bizarre, j'ai un mauvais pressentiment. Je n'ai pas fermé l’œil de la nuit. Les gardiens ont été particulièrement gentils avec moi hier soir. Cela a essentiellement consisté à ne pas me frapper sans raison ou me servir un repas sans le jeter contre le mur du fond du cachot. Bon, faut pas déconner, la bouffe était comme d’habitude : la gastronomie carcérale se doit quand même de maintenir sa réputation. Je suis sûr qu’on lui décernerait le prix de la meilleure arme de destruction massive si elle était servie dans le camp ennemi.

Aujourd'hui, je crois que c'est le grand jour. Je dois recevoir cette fameuse punition en public. Je me demande en quoi elle consiste ? J'opterais plutôt pour un jet de diverses ordures par des enfants plein de malice ou un truc du genre ! Au pire, me dis-je, je recevrai des coups de bâtons… Cela ne m'enchante guère, car voyez-vous, je me targue d'avoir gardé une peau de jeune homme grâce à des soins assidus. Cela me donne l'air d'être beaucoup plus jeune que je ne le suis. Cette punition va anéantir tous mes efforts d’une vie, car évidemment ma peau délicate marque très facilement.

J'entends des pas dans le couloir. La lourde clef s'enfonce dans la serrure et la porte du cachot s'ouvre sur deux de mes geôliers.
- «  Allez, mon gars, c'est l'heure. Dépêche-toi ! », grogne le plus grand des deux.
- «  Oui, j'arrive. Par contre j'aurais aimé avoir une petite précision. Qu'est-ce qu'on va me faire au juste ? »
Les deux hommes se regardent interloqués et se mettent à rire, goguenards, comme des poivrots dans une taverne. Le plus grand des deux me prend par le bras et me fait sortir dans le couloir.
- «  Tu vas au bûcher le bavard. T'inquiète pas c'est juste un sale moment à passer, mais ça va vite », me dit le plus petit en s'efforçant de contenir son rire.
- « Comment ça le bûcher ? Vous voulez dire qu'on va me faire brûler, avec les bûches, la torche et tout et tout. »
- « Bah oui ! On t’invite pas à une partie de chasse, abruti ! ha ha ! »
- « Ah mais non ! Je ne suis pas d'accord : je trouve que ce châtiment est disproportionné ! D'autant plus que je n'ai rien fait et que je ne connais même pas le chef d’accusation dont je fais l’objet. Je demande à parler à un supérieur, à un seigneur, enfin à n'importe qui sachant faire autre chose que de brailler en latin, d’éprouver la solidité des articulations  ou encore de maintenir la tête d'un homme dans la flotte ». Le plus grand s'arrêta et m'assena un grand coup de poing dans la ventre. L'effet escompté fut immédiat, je tombai sur mes genoux, le souffle coupé.
- « Aaaah voyez-vous ça ! Monseigneur le précieux proteste, Monseigneur le bavard ne veut pas recevoir son châtiment, fit-il d’une voix haut perchée. M'oblige pas à t'abimer la tronche ! Tu dois être présentable pour tes fans. Dis-toi qu’cette punition c'est pour le salut de ton âme : T’as Satan en toi. Ca va l’faire sortir ! » L'énormité de cette assertion me mit dans une colère incontrôlable et je trouvais le courage nécessaire pour riposter durement.
- « Satan est en moi ??? Mais c'est quoi cette connerie. Vous croyez pas que si j'avais un connard de deux mètres cinquante, avec des pieds de boucs et des cornes de vache à la con, s'était emparé de mon corps, je ne serais pas le premier averti ? Vous êtes pas bien les gars. Faut vous nettoyer le ciboulot !  Parce qu’il y a un putain de mulot qui y trottine apparemment. » C'est au tour du plus petit de me lancer son genou dans le visage. Mon nez réagit comme il devait réagir. Il saigna.
- «  Mais t'es con, lança son compère, il saigne maintenant. On va encore se faire engueuler. Le patron veut pas que les condamnés soient trop amochés. Paraît que ça les rend plus sympathiques auprès de la populace. »
- « Ah ouais, c’est vrai ! Oh, désolé ! mais faut bien qu'il ferme sa gueule », dit le geôlier au genou généreux en tentant de m'essuyer le sang avec sa tunique.

Vingt minutes plus tard, je me retrouvais attaché à un poteau sur un amas de bois et de brindilles fraîchement coupés. Un homme très bien habillé, sans doute le seigneur de la région, s'avança vers moi avec une démarche très théâtrale, le visage exagérément sévère. Un homme d'église obséquieux et le petit teigneux de l'inquisition lui emboitaient solennellement le pas. Ils se placèrent entre le bûcher et la foule. Le notable toussa deux fois pour clarifier sa voix et s'adressa à la plèbe.
- «  Mes chers amis, nous sommes ici pour appliquer la sentence divine. Cet homme, que Dieu ait son âme, a eu la faiblesse de succomber aux charmes du démon. Et il a ... »
- « Hé ho ! excusez-moi ? »
- « Qui y a t-il ? », répondit le seigneur en se retournant vers moi.
- « Est-ce que je pourrais vous dire quelque chose? »
- « En fait, non. Je ne sais pas si vous voyez, mais ce n’est pas trop le moment. Vous allez me faire perdre le fil de mon discours appris par cœur. »
- « Non parce qu'en réalité, je ne suis pas, mais alors pas du tout, possédé par Satan. Je pense que c'est un détail d’une importance capitale, voire même, c’est le seul et unique détail qui nous réunis tous ici. Comme je ne ne supporte pas l’idée de vous faire perdre du  temps pour rien, je me demandais… je voulais savoir si, à tout hasard, si y avait moyen de négocier ? »
- « De négocier ??? » Le notable regarda le curé et l'inquisiteur d’un oeil stupéfait. Je jouais mon dernier atout, c'était mon unique chance d'éviter cette mort atroce.
- «  Premièrement, j'étais complètement torché quand je me suis fait arrêter… J’étais pas possédé ou je ne sais quoi ».
- « Vous avez tout de même uriné sur la statue de la Sainte Vierge Marie et je vous ai trouvé en train de caresser de façon obscène sa Sainte Poitrine dans mon église », s‘indigna le curé en répétant plusieurs fois le signe de croix.
- « J'étais persuadé que c'était ma chambre, il faisait noir. Mais là n'est pas la question. Je comprends très bien que vous ne voulez pas passer pour des buses devant vos sujets. Donc on ne dit pas que je suis totalement innocent, mais on revoit la sentence. Vous me l'accordez, elle est un peu démesurée par rapport aux faits reprochés. Vous me détachez, vous me flanquer un gros coup de pied au cul devant l’assemblée. J'ai la honte de ma vie, vous me faites passer pour un pleutre débile devant les gens. Tout le monde est content. »
- « Non », répondit sèchement le seigneur.
- « Un pain dans la gueule ? »
- « Non plus. »
- « QUE DICE ? » hurla comme à son habitude le petit inquisiteur.
- « Des coups de bâton ? »
- « Arrêtez, vous allez en prendre une ».
- « Des coups de fouets ? Rester sur un pied pendant une journée ? Repeindre votre château ? Nettoyer les rues ? Ou même mieux, vous me m’excommuniez. C'est très classe ça ! je trouve. Ça fera un peu de spectacle…
- « NON NON NON NON ET NON », fulmina le seigneur. Il attrapa une torche, en lança une à l'inquisiteur, et s'avança vers le tas de bois.
- «  Bon, on va faire court et se passer de discours. Allez que Dieu nous protège et qu'il pardonne à ce crétin. » Les deux hommes lancèrent en même temps les torches sur le bûcher. Le feu prit en quelques secondes. La douleur fut atroce. Je sentis ma chair fondre sous le supplice des flammes...

Quelques minutes plus tard, ou bien quelques années, je ne sais plus trop, je me retrouvais debout devant un homme d'âge mûr, très grand, très gracieux et anormalement très propre. J'étais au milieu d'une vallée sans horizon. Il y avait juste un chemin et de l'herbe à perte de vue. L'homme propre pointa son index vers moi.  «  Soit le bienvenu, mon frère », murmura t-il d'une voix douce et chaude.
- « Vous êtes ? »
- « Saint-Pierre. »
- « Jean-Pierre ? Ah j'ai très bien connu un Jean-Pierre. Il avait un défaut de prononciation assez énervant mais il avait un humour à ... »
- « Non, Saint-Pierre ! », répéta le vieil homme avec une voix moins douce et moins chaude. »
- « Non, non je vous assure il s'appelait Jean-Pierre, comme vous ! »

L'homme leva les yeux au ciel en me posant la main sur la bouche pour m'empêcher de parler.
- «  Bon je vois ! Alors on va faire court : on peut le dire, tu n’as eu une vie tout à fait exemplaire. Oui, j'emploie le passé car je te le dis d’entrée avant que tu me poses la question comme les autres :  tu es mort. Mais bon, comme tu n'as pas péché comme un sagouin, tu n'iras pas chez l'autre en bas. Pour toutes tes fautes commises, tu ne passeras que mille ans au purgatoire. Ainsi tu auras un peu de temps pour comprendre et expier tes péchés de mortel. Des questions ? Il me regarda fixement, les bras croisés.
- «  Donc je suis mort, whaouh ! Première nouvelle. Et je suis au paradis, donc ça existe, whaouh ! Seconde nouvelle. »
- « T'as tout compris. » fit Saint-Pierre en opinant du chef. Il posa sa main sur mon épaule et commença à m'entrainer vers un petit chemin qui menait, semble t-il, vers nulle part. Je résistais mollement. Il y avait tout de même quelque chose qui me tracassait.
- «  J’veux pas faire mon « je ne suis jamais content et je la ramène une dernière fois », mais, vous ne trouvez pas que mille ans pour comprendre mes péchés, c'est un peu excessif. Je suis sûr qu'il y a moyen de négocier, n'est ce pas ? ... »

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Commentaires
T
c'est beau comme une fricassée, drôle comme une fraise, croquant comme un radis, croustillant comme une craquotte, brûlant comme une soupe, rond comme pizza, ...délicieux!!!!!<br /> j'veux du rab
J
Salut Alex,<br /> Bon OK ... c'était super ... J'ai bien reconnu ton style avec beaucoup d'adjectifs <br /> mille félicitations<br /> A+<br /> Jé
J
Salut Alex,<br /> Bon OK ... c'était super ... J'ai bien reconnu ton style avec beaucoup d'adjectifs <br /> mille félicitations<br /> A+<br /> Jé
J
Quel torchon, je ne vous félicite pas ... et ça se prétend écrivain ?? Je vous l'avez dit que vous étiez un bon à rien, un cancre !! Ah ah !! Mais, on ne voulait pas travailler ses classiques !! Ah ça : Rabelais, Molière et voltaire sont toujours des énigmes pour vous ... Et en plus, vous êtes ingrat avec vos parents, qui se sont pourtant saignés aux 4 veines pour vous offrir une éducation irréprochable ... Mais monsieur préféreait le luxe et la débauche !! Ah c'est sûr que c'est bien mieux de passer son temps à chantonner approximativement au karaoké !! Et les fréquentations ?? toujours les mêmes vauriens je suppose !!! Ludovic. M ; Jérémie. J ; Pierre. B et les autres, n'est-ce pas ?<br /> Je ne vous salue pas.<br /> Mme Four
T
putain c'est mieux écrit que la note de synthèse que je viens de torcher en cinq heures... sinon je suis un peu de l'avis de bab'z, tu devrais peut être multiplier les phases de négociation pour rendre la chute encore plus comique. perso je pense que tu devrais expliquer davantage les raisons de ton incarcération: avec des détails bien salaces...<br /> sinon j'ai bien aimé!!
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