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Fanes de carottes
26 octobre 2009

Bûchers - 6

La sorcière et l'herboriste
Martine27


Depuis plusieurs jours déjà, je faisais halte dans ce petit bourg. Je n’avais prévu qu’une étape, mais, je ne sais pourquoi, le calme et la sérénité de l’endroit m’avaient retenue.
J’avais pris l’habitude d’aller me promener dans les bois et la campagne environnants. A chacun de mes retours, l’hôtesse me demandait avec un petit sourire en coin : « Alors avez-vous rencontré des personnes intéressantes ? » J’avais l’impression qu’elle attendait une réponse bien précise, mais laquelle ?
Ce matin là, je dirigeai mes pas vers la forêt et optai pour un sentier que je n’avais pas encore exploré. Le silence m’environnait, tout juste troublé par moment par le chant lointain d’un oiseau. Il régnait une atmosphère étrange comme faite d’attente. Du coin de l’œil, j’aperçus une minuscule sente qui s’enfonçait plus profondément sous la futaie, elle semblait m’appeler. Curieuse je me laissai tenter.
Brusquement, je me trouvai face à des ruines, les vieilles pierres disparaissaient en partie sous la végétation foisonnante. Elles semblaient se cacher aux regards. J’entrepris de l’explorer. Des restes de pilastres luttaient avec les ronces, un chemin de pierre faisait le tour d’un jardin revenu à l’état sauvage, au centre le reste de ce qui ressemblait à un grand crucifix cherchait à s’élancer vers le ciel. Soudain, j’aperçus un homme assis sur une large pierre détachée d’un mur, vêtu d’un ample vêtement sombre, le visage caché par un capuchon. Un instant décontenancée par cette présence, je finis par m’approcher et je le saluai :
« Bonjour, quel étrange endroit pour un cloître. »
Il parut ne pas m’avoir entendue, il restait là sans bouger, puis sa voix s’éleva dans le calme de la forêt :
« Je vais vous raconter la légende de cet endroit. »
Sans détourner la tête, il me fit signe pour que je prenne place à ses côtés. Un peu sidérée par son attitude, mais curieuse d’en savoir plus, je m’installai près de lui et laissai mon regard errer sur les vieilles pierres.
Il reprit :
« Il y a fort longtemps, vivait ici une petite communauté de moines. Le plus jeune était herboriste. C'était un jeune homme rêveur et tendre, nouvellement arrivé dans la communauté pour remplacer le vieil herboriste qui venait de rejoindre son créateur.
Dans le village voisin vivait une jeune femme, belle comme un rayon de soleil. Elle possédait un jardin de simples qu'elle mettait à la disposition de ses voisins en leur concoctant potions et pommades pour soulager leurs maux. En dépit de sa beauté, elle ne suscitait nulle convoitise de la part des hommes, nulle jalousie de la part des femmes. Sa bonté et sa joie de vivre faisaient d'elle un ange, aux yeux des villageois.
Un jour le jeune moine vint à passer devant ce jardin, pour lui rempli de merveilles. Le voyant admiratif devant ses plantations la jeune femme sortit, le salua gentiment :
« Bonjour mon frère, mes plantes vous intéresseraient-elles ? »
Rougissant, il lui retourna son salut et ils commencèrent à échanger quelques recettes.
Le jeune moine rentra au monastère, des rêves dans les yeux et de la joie au cœur. La vie continua un moment ainsi sans heurts, les jeunes gens continuant à se rencontrer pour confronter leurs connaissances, leur amitié devenant rayonnante.
Mais voilà qu'un jour, le destin arriva sous les traits d'un inquisiteur venu faire une inspection dans la région. C'était un bel homme mais son visage était tellement sévère que tous tremblaient en le voyant et personne n'osait le regarder dans les yeux. Tous, sauf la jeune femme qui l'accueillit comme elle accueillait tout le monde, avec gentillesse et douceur.
Las, sa spontanéité se retourna aussitôt contre elle. Pour l'inquisiteur cette femme, qui brusquement faisait battre son cœur et se lever dans son esprit des pensées impures, ne pouvait être qu'une sorcière.
Alors il se mit à harceler les villageois, posant question après question. Elle sortait à la pleine lune, n'est-ce pas ? Elle empoisonnait le bétail, n'est-ce pas ? Elle avait de nombreux amants, n'est-ce pas, n'est-ce pas ?
Mais, personne n'avoua quoique ce soit d'aussi terrible. Bien au contraire, tous insistèrent sur le fait qu'elle ne préparait que des potions bénéfiques, qu'elle aidait tout un chacun. Hélas, en voulant bien faire, ils allèrent trop loin. L'un indiqua que le jeune herboriste du monastère n'hésitait pas à la consulter et qu'ils échangeaient des plantes, l'autre précisa que la jeune femme soulageait les femmes en gésine avec des pommades calmantes, une autre qu'elle connaissait des plantes qui permettaient d'espacer des grossesses épuisantes. Cela suffit bien sûr à l'inquisiteur.
Pas de doute c'était une sorcière, elle pervertissait un moine, elle allait à l'encontre des préceptes du Seigneur qui disait "croisez et multipliez-vous" et "tu donneras la vie dans la douleur".
Devant ses voisins anéantis, mais qui devant les armes de l'escorte n'osèrent rien faire, elle fut arrêtée et traînée dans le monastère pour y subir la question. Le jeune herboriste voyant le sort réservé à son amie tenta d'intervenir, l'inquisiteur bien sûr n'attendait que ce faux pas pour l'emprisonner lui aussi.
Malgré ce que le monstre leur fit subir, ils clamèrent leur innocence et la pureté de leurs sentiments. Mais la jalousie, l'envie et la colère de l'homme de dieu réclamaient d'être assouvies.
Un matin, tous les villageois furent contraints de se rendre au monastère. Dans une clairière, les moines prostrés attendaient devant un bûcher. Installé sous un dais, l'inquisiteur rendit son verdict. La jeune femme avait été convaincue de commerce avec le démon et elle serait brûlée vive, l'herboriste quant à lui resterait emprisonné à vie.
La "sorcière" fut tirée de sa prison, affaiblie par les sévices infligés, elle arriva soutenue par deux gardes. L'herboriste, dans le même état, fut traîné sous le dais et jeté aux pieds de son accusateur.
L'inquisiteur, voyant la réprobation dans les yeux de tous, fit semblant de faire preuve de mansuétude. Si elle avouait devant tous qu'elle était bien une sorcière, il la ferait étrangler avant de livrer son corps aux flammes.
Elle se redressa, fière et belle. « Je suis innocente, Dieu en jugera et vous punira ». En rage, l'homme ordonna qu'elle soit livrée au supplice. Deux gardes, avec maintes précautions, la lièrent au poteau, sur leur visage se lisait une peine infinie. Un brandon enflammé fut approché des fagots.
Au moment même où le feu prenait, l'herboriste, malgré ses nombreuses blessures, se releva,  et s’emparant d’une épée il la planta dans le corps du tortionnaire qui s'écroula. Puis, sans que personne n'essaie de l'arrêter, il se jeta dans le brasier pour rejoindre sa bien-aimée.
Il l'enlaça sous les imprécations de l'inquisiteur mourant. Une colonne d'air entoura les deux jeunes gens, les séparant du feu. Leurs corps s'unirent, se fondirent l'un dans l'autre et à leur place un grand oiseau blanc s'éleva au dessus du bûcher en flamme. Il effleura l'inquisiteur du bout de l'aile et celui-ci commença à se recroqueviller, à brûler sur place en poussant des hurlements. Puis son corps tomba en poussière et le vent l'emporta.
Personne n'intervint, ni ses gardes, ni les moines, ni les villageois, tous le regardèrent agoniser en murmurant « Le jugement de Dieu est rendu ».
Levant les yeux, ils regardèrent le bel oiseau voler de plus en plus haut et dans leur cœur un grand bonheur se répandit.
Voilà l'histoire de l'herboriste et de la sorcière. Je peux aussi vous dire qu'après cet événement, les moines préfèrent partir vers d'autres monastères et celui-ci tomba en ruine peu à peu. Le village, quant à lui, sembla bénéficier au cours des siècles d'une étrange protection, il fut épargné par les maladies, les famines, les guerres. Tous pensent que l'oiseau blanc veille sur lui. »
La triste voix du conteur, s’effilocha dans le silence revenu. Je me levai et regardai les ruines d'un autre œil. Je restai pensive quelques instants, essayant d’imaginer cet embrasement d’amour. Un mouvement dans le ciel attira mon regard et j’eus l’impression de voir tournoyer l'oiseau fabuleux. Prise d’un étourdissement, je ramenai vivement mes yeux vers mon compagnon qui s’était levé. Je m’aperçus alors qu’il était vêtu d’une bure monastique. Je jetai un dernier coup d’œil aux ruines de l’ancien monastère et murmurai à l’intention de mon mystérieux narrateur :
« Merci, mon frère, pour cette merveilleuse légende ». Mais, en me retournant à nouveaux, je m’aperçus qu’il avait disparu, je ne l’avais pas entendu s’éloigner et je ne le vis nulle part.
Songeuse, je repris le chemin de l'auberge. En me voyant arriver, l'hôtesse ne me posa pas la question rituelle, et se contenta de me sourire. J'avais fait la rencontre qu'elle attendait.

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Commentaires
M
Ne voit-on pas sur de nombreux frontons le mot FRATERNITE ? :)<br /> souvent bafouée :(<br /> bonne journée de mc issue d'une fratrie de 8 :)
I
on vous croirait soeurs ^^ <br /> C'est une belle rencontre virtuelle !
M
Tout comme MAP, en découvrant ce matin, la cruelle mais belle destinée de ces deux "écolos" de l'époque, j'ai aperçu un grand oiseau volant au-dessus de la Rochette, je crois bien qu'il était blanc :o)
M
Qu'elle est belle cette histoire Martine 27 ! Il me semble bien avoir aperçu ce grand oiseau blanc en la lisant ! J'aime beaucoup. Un grand bravo !
Fanes de carottes
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