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Fanes de carottes
23 septembre 2009

Robots trop humains - 4

Homodroïde


par Pandora

Premier jour
J’ai réinitialisé et reprogrammé l’homodroïde. Cette fois je lui ai adjoint un droïde B658 afin qu’il se sente moins seul et progresse plus rapidement. Pour que nous puissions comparer le développement des deux robots aussi. C’est la dernière tentative, la direction m’a prévenu qu’elle coupera les financements en cas de nouvel échec.
Je suis confiant, j’ai tiré les leçons des précédentes expériences. Je sais comment transformer un robot en humain. Kaéra dort déjà, mais moi je suis beaucoup trop excité.
J’appelle une dernière fois le laboratoire même si je sais qu’il ne se passera rien d’intéressant cette nuit. Alixaire décroche et me répond avec un sourire dans la voix : c’est la dixième fois que j’appelle ce soir. Cela me ramène dix années en arrière, à la naissance de notre fils, quand je saturais le standard de la maternité à force de coups de fil ! Les droïdes explorent les lieux de leur démarche lente et mécanique. Même avec une IA bourrée à craquer des programmes et processeurs les plus récents, ils ont besoin de temps pour apprendre à vivre dans leur nouvel environnement et se l’approprier.

Deuxième jour
Curieux, les droïdes se sont précipités vers moi à mon arrivée. Alixaire m’a dit qu’ils avaient visité le laboratoire toute la nuit. Ils ont ouvert et fermé les portes et les placards, se sont branchés sur chaque borne informatique et holographique, ont allumé les équipements et exploré les pièces dans les moindres recoins. Elle les a laissé faire, conformément au protocole d’expérimentation. Ils ne parlent pas encore mais c’est normal. Je les ai salués pour qu’ils connaissent ma voix et ils m’ont suivi quand j’ai rejoint mon bureau. Ils ont observé ce que je faisais jusqu’à ce que Garminaël les emmène en salle de projection. Je ne doute pas qu’ils reproduiront mes gestes dès qu’ils en auront l’occasion. Nous avons choisi de leur faire visionner les films de développement habituels et ils ont gardé leurs capteurs visuels rivés sur l’écran pendant toute la journée. Même si c’est plus long, je souhaitais que cet apprentissage se fasse à l’ancienne et non par rajout direct de ces programmes à leur IA. Inutile de submerger des processeurs déjà très occupés à intégrer les souvenirs humains que j’y ai ajoutés.
Kaéra était déjà couchée quand je suis rentré. J’ai mangé seul comme chaque soir ou presque, alors que j’aurais eu tellement de choses à lui raconter.

Troisième jour
Nous avons eu un petit incident à déplorer en fin de journée, quand l’homodroïde a voulu déshabiller Magwel. Mais je suis sûr qu’il a compris que ça ne se faisait pas et les médecins nous ont garanti qu’elle pourrait sortir de l’hôpital avant la fin de la semaine. Nous allons retirer « Emmanuelle » des films qu’on leur passe, c’est un genre inutile pour un robot. Sinon les deux droïdes se sont comportés quasiment de la même façon.
Nous les laisserons en veille demain pour qu’ils assimilent toutes les nouvelles  informations reçues. Cela permettra aussi que les esprits échauffés se calment ; certains de mes collaborateurs veulent réinitialiser mes droïdes. Comme si on pouvait accuser une machine d’avoir de mauvaises intentions !
Cela m’arrange puisque je dois accompagner Kaéra pour son rendez-vous à l’hôpital. Si le psychiatre me répète encore qu’il la trouve mieux, alors que depuis un an, elle n’en finit pas de sombrer et dépérir, je lui balance mon poing dans la figure. Au moins, moi, je me sentirai mieux.

Cinquième jour
En tant que responsable de l’expérimentation – mais aussi chef du laboratoire - c’est moi qui ai réactivé les IA. L’homodroïde m’a regardé et a prononcé son premier mot : « Papa !» ; j’ai encore la chair de poule à ce souvenir. Il a un énorme besoin d’interaction avec le personnel humain du laboratoire et poursuit mes assistants partout pour qu’ils jouent avec lui. Même aux toilettes. J’ai finalement accepté de retirer le module « sport de combat » de son IA. Non que je craigne un nouvel accident mais je voulais rassurer mon équipe ; elle menaçait de tout arrêter et de me lâcher pour rejoindre le laboratoire de génétique agricole si je ne faisais pas quelque chose. B658, lui, ne parle pas encore et il est surtout attiré par les appareillages électroniques qu’il manipule avec une dextérité remarquable. Probablement grâce au processeur XC54 que nous lui avons rajouté.
J’ai prévu de passer la journée de demain avec eux.
J’aurais aimé partager toutes ces bonnes nouvelles avec Kaéra, mais les médecins ont préféré l’hospitaliser pour une narcothérapie. Je prie le ciel pour que cette expérience aboutisse enfin.

Sixième jour
Les deux droïdes m’ont attendu en guettant le sas ; mon équipe leur avait dit que nous allions jouer ensemble et ils n’ont encore que six jours. Ils parlent très bien maintenant et maitrisent parfaitement huit cent neuf langues. Nous ne retrouvons plus le programme d’apprentissage du thauréen ni celui de l’anglais, mais ce sont des langues mortes donc inutiles. J’ai noté les regards gênés de mes collaborateurs, quand l’homodroïde m’a demandé de l’appeler Drewan au milieu de deux longues phrases d’un babillage incessant : « C’est lui qui voulait absolument ce prénom : impossible de lui en faire choisir un autre ! ». S’ils savaient combien cela me réjouit ! Bien que disposant désormais de la même quantité de vocabulaire, B658 ne parle lui qu’en réponse à une question. Le contraste est d’autant plus saisissant que les deux droïdes sont d’apparence rigoureusement identique.
Nous avons passé l’après-midi à jouer. Si B658 s’amuse et prend du plaisir au jeu, Drewan veut gagner et se montre très mauvais perdant. Il m’a presque semblé qu’il trichait alors que c’est impossible puisque je ne lui ai pas installé ce module. Cela va pourtant dans le sens de ce que m’a rapporté Garminaël et que je n’arrivais pas à croire : l’homodroïde mentirait. Je me repasserai les enregistrements demain matin pour vérifier tout cela.

Septième jour
C’était l’effervescence au laboratoire à mon arrivée, plus tardive qu’à l’habitude. Je suis passé voir Kaéra à l’hôpital. B658 était complètement désactivé. Les techniciens ont rapidement diagnostiqué la panne et son origine : un dysfonctionnement de l’IA. Les enregistrements de la nuit nous ont permis de comprendre ce qui s’était passé : Drewan a mis en veille B658 pour lui prendre certains processeurs et les intégrer à sa propre IA. Il a ensuite complètement détruit celle du droïde. J’ai vu bien des humains mentir avec aplomb, mais Drewan les surpassait tous. Il a nié farouchement jusqu’à ce qu’il soit confronté à l’hologramme de la nuit. Il a alors essayé de justifier son geste : je me serais trop occupé de B658 et pas assez de lui.
Mensonge, jalousie et même meurtre, le succès de l’expérience ne fait aucun doute : j’ai réussi à créer un droïde humain. Mes collaborateurs trouvent qu’il est trop humain. On n’est pourtant jamais trop vivant.
J’ai ramené Drewan avec moi, malgré l’opposition des membres de mon équipe. C’est moi le responsable du laboratoire. Il a été content de retrouver sa chambre. Il l’a parcourue en tous sens de ses petits pas grinçants, se réjouissant de reconnaître ses jouets. Dommage que sa maman n’ait pas été là pour l’accueillir dès ce soir. Nous irons la chercher demain et quoiqu’en disent les médecins, nous rentrerons tous à la maison. Elle sera tellement heureuse ! J’ai hâte de revoir son sourire.
Tant pis s’il ment, s’il triche et s’il est jaloux. Tant pis s’il tue.
Notre petit Drewan est revenu.

* * *

En réponse à l'appel des robots trop humains

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Commentaires
M
Une expérience réussie ! Drewan et son premier mot "PAPA" !!! Excellent Pandora ! En plus de cette histoire très bien menée j'ai aimé les nouveaux prénoms : Alixaire, Magwel ....<br /> Je me suis régalée à cette lecture !
M
il fallait lire bien sûr Kaéra (KRA) et non pas Karéa ? et Drewan au lieu de Derwan ... désolée Pandora, mon recueil de prénoms n'est pas à jour, pas l'habitude :)
M
"Le petit Derwan est de retour, Allé ... luia !"<br /> ...<br /> Karéa va pouvoir arrêter la narcothérapie, les parents vont avoir fort à faire ... forte affaire ! <br /> Bravo Pandora à quand le huitième jour ?
C
809 langues ! C'est tout ?! Un peu précoce le petiot...<br /> Espérons qu'elle ne le rejètera pas, sinon c'est à maman qu'il piquera des circuits!
Fanes de carottes
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