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Fanes de carottes
7 juin 2009

Le feuilleton du dimanche

Une quête infernale

Shi May Mouty

treizième épisode

(juste avant...)

Après plusieurs semaines de préparatif, le vaisseau avait enfin redécollé de la Terre. Auparavant, le cosmos avait été minutieusement inspecté, galaxie après galaxie, constellation après constellation, par des démons astrophysiciens. Cette fois, plus question de se poser au hasard sur une planète inconnue comme cela s’était produit au cours de la mission précédente. Une planète avait tout d’abord été identifiée au télescope, son atmosphère avait été analysée à distance et permettait la vie. Elle rayonnait d’une belle couleur verte.

Désormais toutes les étapes du vol étaient contrôlées par Lucifer lui-même, assis dans un somptueux fauteuil Voltaire recouvert de velours rouge, brodé de fils d’or et situé au centre du poste de pilotage du vaisseau. Maintenant qu’il était à bord, la musique n’était plus diffusée dans des haut-parleurs, mais au casque - Lucifer n’en portant pas, bien-sûr. Les démons restaient libres de leurs mouvements, le casque vissé sur leurs oreilles poilues, pas besoin des nouvelles technologies ou de wifi, la magie faisait ça très bien.

Razibuth, devenu Razimus, autrefois diable de 11ème échelon, autrefois responsable des expéditions, avait été rétrogradé. Depuis, honteux, il longeait les murs tête baissée, essayant d’échapper aux railleries de ses coéquipiers et aux basses vengeances de ceux qu’il avait maltraités lors de l’expédition précédente. Il n’était plus qu’un humble matelot du vaisseau spatial. Le volume sonore de son casque lui donnait une migraine qui lui picotait les yeux. Razimus avait perçu quelques sourires ironiques et gestes évocateurs d’autres démons laissant entrevoir que l’on avait trafiqué son casque.

Honteux, certes, mais surtout furieux envers Lucifer qui l’avait accablé de reproches au retour de la planète rouge, le rendant responsable de l’échec de cette mission. Pourtant, s’il n’avait pas ramené de damnés, c’est bien parce qu’il n’y en avait pas. Il n’y avait que des diables, truculents buveurs, gros mangeurs… (de chics types !), un hibernatus un peu trop au courant de ses droits, des esprits farceurs des sables…

Il ruminait. Lançant des regards rougeoyants de haine vers Lucifer, un petit germe commençait à déployer ses minuscules feuilles vert tendre dans son esprit. Un petit germe qui murmurait vengeance.

Un voyage éclair, défiant les lois de la physique, les avait menés à proximité de la planète verte, et le vaisseau spatial luciférien piquait maintenant sur elle tel un faucon sur un moineau fragile. Il se posa dans une minuscule clairière cernée par une forêt dense. Le nez collé aux hublots, l’équipage inspectait les alentours. Vert, tout était vert. « Vert comme l’espoir » chuchota un diablotin. Vert pâle des mousses, vert céladon des fougères, vert sombre des herbes raides, vert amande des lianes volubiles, vert émeraude du feuillage des arbres, des branches basses à la canopée.

Le sas fut ouvert et une chaleur humide, suffocante, les envahit. Les diables, pourtant habitués aux températures élevées de l’enfer, respiraient avec difficulté. Ils avaient laissé les scaphandres sur Terre, dans la mesure où l’atmosphère avait été jugée respirable. Et après tout, pour des démons, il n’y avait pas de risque mortel à respirer cet air saturé d’humidité, c’était juste une question de confort !

Lucifer donna l’ordre de débarquement puis de marche. Quelques secondes après leur sortie du vaisseau, ils se mirent à ruisseler de transpiration. Une gouttelette de sueur se balançait, scintillante, à l’extrémité de chacun de leurs poils. Quand ils se secouaient, ils éclaboussaient leurs compagnons comme des chiens qui s’ébrouent en sortant de l’eau. Une odeur atroce de matière végétale en décomposition leur agressait les narines.  Nombreux étaient ceux qui se pinçaient le nez.

Comme il était hors de question de désobéir à Lucifer, la troupe démoniaque, pourtant peu motivée, s’engagea dans la forêt. Les pieds fourchus des diables s’enfonçaient dans le sol spongieux. Des insectes aussi agressifs qu’affamés se jetaient sur eux, se faufilant entre les poils pour atteindre leur peau et la transpercer. Seule la vue de nombreux serpents de toutes les couleurs, de toutes les tailles, glissant silencieusement dans le feuillage, réjouissait les marcheurs. Les serpents, ça, c’étaient des amis. Des complices même. Ça leur ramenait des souvenirs en mémoire. Cette vieille histoire d’Adam et Eve. Que ne fait-on pas avec une pomme. Quelle époque plaisante. Il y avait aussi eu Caïn et Abel, un fratricide, quel régal ! L’histoire humaine avait eu un bon début.

Razimus, en arrière du groupe, se faisait discret, mais au fond, il jubilait : l’échec semblait probable. Il se laissait distraire par le récit des autres diables. Il en oubliait presque les difficultés de la marche, il se sentait mieux. Ses yeux se perdirent dans les frondaisons et il se laissa fasciner par ceux d’un serpent corail. Son regard d’or semblait plonger jusqu’au fond de son cerveau. Quand il se reprit, la troupe le devançait de plusieurs mètres.

Il voulut accélérer, mais sa queue qui battait l’air pour chasser les moustiques se coinça entre deux branches. Le temps de se dégager, les autres diables avaient disparu. Sa fureur revint avec violence. Il était seul et perdu.

Soudain, des hurlements. Des ordres secs et précis (Lucifer ?), des bruits de coups, puis le silence.

Razimus trébucha à plusieurs reprises sur des racines en voulant courir dans cette direction. Enfin il déboucha dans une trouée. Le sol était piétiné, jonché de traces de sang, de touffes de poils et de lambeaux de peau rougeâtre. Il y avait aussi quelques débris verts, dont un fragment dur ressemblant à une énorme dent couleur pistache.

Il réfléchit intensément. Qu’étaient-ils devenus ? Morts ? Mais non, les diables sont immortels. Capturés ? Probablement. Un petit rire nerveux l’agita : il était bien malin, Lucifer, il s’était fait piéger comme un débutant. Et maintenant, qui était le plus fort ? Qui allait devoir les sauver ?

Mais ceci est une autre histoire...

 

à suivre...

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Commentaires
I
courage, MAP, courage. Tu auras bientôt la suite ! <br /> Bises et merci pour elle.
M
L'heure de la vengeance de Razimus a-t-elle enfin sonné ???? Une semaine d'attente .....<br /> J'ai beaucoup apprécié les différents tons de la couleur verte ...<br /> C'est toujours un plaisir de vous lire Shi May Mouty !
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