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Fanes de carottes
27 février 2009

L'effacement de la Tour Eiffel - 3

La demoiselle disparue

Shi May Mouty

« Demandez France Matin ! Tout sur la disparition de la Tour Eiffel ! »

La nouvelle explosa en milliers d’éclats, semant la stupeur puis la terreur. Des cardiaques moururent. Des neurasthéniques se suicidèrent. Des femmes pleurèrent, se frappant la tête de leurs poings serrés. Des bébés hurlèrent dans leur berceau. Les accidents de circulation se multiplièrent : stops grillés, feux rouges brûlés. Paris n’était plus qu’un immense embouteillage.
Puis l’information atteignit toute la France par la voix des ondes, le papier, et pour finir la rumeur… On l’accueillit parfois d’un sourire narquois : « Les Parigots, ça leur fera les pieds ! »
Mais à Paris, l’affaire n’était pas prise à la légère. Le gouvernement faillit sauter pour incapacité notoire à gérer les biens de la nation. En pleine séance de l’Assemblée Nationale, les députés se mirent à chanter La Marseillaise. La patrie était en danger. C’était la catastrophe. D’heure en heure le scandale enflait.
L’élite de la police et des services de renseignement fut convoquée en urgence au Palais présidentiel. Des indics furent énergiquement interrogés. Les promeneurs réguliers du Champ de Mars, qui avaient eu le tort de s’y trouver au mauvais moment lors d’une rafle de police à la recherche de témoins potentiels, vécurent une nuit d’angoisse. Les salles de garde à vue débordèrent de suspects clamant leur innocence.
Mais rien. On ne trouvait rien. Ni coupable, ni Tour.
La bourse de Paris dégringolait, les épargnants, les boursicoteurs voyaient fondre leur capital. La crise s’installait, on était au bord du cataclysme.
Le commissaire Maigret, la pipe éteinte à la main, arpenta les quais de Seine, en vain.
Un petit homme chauve, rondouillard, à la moustache cirée, examina l’air songeur les énormes traces laissées par les pieds de la Demoiselle disparue. Il croisa en chemin deux compatriotes hébétés portant un chapeau melon qui cherchaient un marchand de frites belges. Le mal du pays les prit alors tous les trois et ils renoncèrent à leur enquête.
Le lendemain, arriva Rouletabille, le nez en l’air, toujours à la recherche d’un certain parfum.
Sherlock Holmes examina les trottoirs à la loupe, n’y vit que des crottes de chien et, ayant oublié son violon et diverses substances qui lui étaient nécessaires pour réfléchir, repartit à Londres.
La nouvelle traversa l’Atlantique, où elle émut beaucoup. Enfin, au moins pour sauvegarder les apparences, de manière diplomatique. La spéculation sur les produits dérivés débuta tandis que les grands détectives locaux, jugeant leur réputation en jeu, vinrent se joindre à cette enquête extraordinaire. Eliott Ness adora le champagne et les bordeaux rouges. Philipp Marlow succomba au charme des parisiennes. Par un après-midi ensoleillé, deux parachutistes se posèrent sur le parvis de Notre-Dame. James Bond et Indiana Jones étaient décidés à montrer que l’union de leurs intelligences et de leurs muscles leur permettrait de résoudre rapidement ce petit problème sur lequel ces frenchies attardés piétinaient. On les vit le soir même aux Folies-Bergères et au Moulin-Rouge. James et Indiana montrèrent leur efficacité à vider des bouteilles de whisky. Les jours suivants on les y revit, toujours accompagnés de voluptueuses pin-ups au décolleté éblouissant, à la jupe virtuelle, aux jambes de gazelles moulées de cuissardes noires. Ils en oublièrent leur enquête.
Le désespoir mêlé de fureur de la population était total : «  On ne reverra jamais la Tour Eiffel ! », « Le voleur ne serait jamais arrêté ! » Le gouvernement tremblait, craignant les pires émeutes, d’autant qu’il avait fait passer en force des réformes peu populaires durant les semaines précédentes. On changea de premier ministre pour faire bonne figure.
Mais heureusement l’été arriva. L’Assemblée Nationale se vida. Les campings des Flots bleus se remplirent. Le peuple n’écouta plus les informations. On augmenta la TVA sur les denrées de base, allégea les impôts sur les grandes fortunes des ministres et des députés, on réforma l’Education Nationale, et on demanda aux salariés de travailler jour et nuit pour compenser les pertes dues à la crise financière. Pas de pavés sur la plage, personne ne réagit.
A la rentrée, peu à peu, on se résigna. On évoquait encore parfois, en chuchotant, les noms de Furax, d’Arsène Lupin ou de Fantômas, dont les célèbres méfaits avaient traumatisé à jamais la France entière. On mentionna également un spectacle de David Copperfield qui aurait mal tourné… D’autres, plus farfelus, parlèrent d’extra-terrestres (mais eux aussi disparurent, et bien vite).
Pendant quelques années encore, parfois, une bonne ménagère époussetant son buffet admirait, les yeux emplis de larmes, une petite Tour Eiffel de plastique flanquée d’un thermomètre. Puis elle détournait les yeux pour regarder, juste à coté, le Mont St Michel dans sa boule de verre, au milieu d’un nuage de neige.

***

La Tour Eiffel a disparu... Que s'est-il passé ?

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Commentaires
I
@pandora : <br /> C'était le thème "disparition de la tour Eiffel". Ce qu'elle est devenue n'a pas forcément à être révélé, sa disparition garde une part de mystère comme ça ^^ <br /> Donc pas de suite... ou du moins pas d'autre que celle que chacun pourra imaginer. <br /> <br /> Je vois bien Adamsberg sur l'enquête en effet, lui qui trouve un cadavre à partir d'un os, il pourrait être bien inspiré !
P
Il y a une suite j'espère...<br /> Elle est où ?????<br /> Faut appeler l'inspecteur Adamsberg ou Mongo ;-)
M
De Maigret à Furax ... Que du beau monde dans ce récit d'une disparition vraiment très mystérieuse ...
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