Les musées improbables - 3
Musée des croûtes
Texte : Ségolène
Images : Ekwerkwe, InFolio, Sébastien
Un ancien dicton disait qu’un repas sans fromage était comme un jour sans soleil. Hélas, le soleil ne brillait plus guère pour les mangeurs de fromage depuis qu’un décret interdisait de boire ou de manger du lait cru.
« Il parait que ça rend malade »
« Y en même qui sont morts après avoir mangé du fromage! »
« C’était pas sain tous ces germes et ces bactéries qui grouillaient dans le fromage ! »
« Moi, ça me dégoutait ! Et les odeurs ! Pouah ! »
Pensaient certains, persuadés que les bactéries, les ferments, les germes qui grouillaient dans le lait, la crème et le fromage étaient dangereux et qu’une alimentation de produits stérilisés était la panacée.
Il est vrai que les odeurs des fromages au lait aseptisé, stérilisé, pasteurisé, homogénéisé, thermisé et autres traitements barbares, il faut les chercher. Mais il faut aussi chercher du goût, des arômes.
Du lait, ça ? un liquide trop blanc qui a perdu toutes ses qualités nutritives et prophylactiques. De la crème, du beurre et des fromages U-N-I-F-O-R-M-I-S-E-S !
Sécurité, hygiène et mort du plaisir gourmand garanti !
Ils ne savent pas ce qui est bon, pensaient quelques paysans qui continuaient à monter leurs bêtes en estive, à fabriquer du fromage au lait cru comme le faisaient leurs pères et qui fournissaient discrètement d’irréductibles résistants aux dictats officiels.
Ils barattaient allègrement la crème, la voyant avec plaisir se transformer en beurre à la bonne odeur de crème et de babeurre.
Ils fabriquaient des fromages au lait cru, dans les maisons d’estive, les bras dans le lait pour le remuer, posant le caillé dans des moules qui s’égouttaient lentement.
Puis, laissant vieillir les fromages dans des caves fraîches qui fleuraient bon le foin et les fleurs, le cuir et la cire chaude, l’étable et la laine.
Pour le bonheur des vrais gourmands qui se soignaient aux vieilles tommes aux croutes grises ou jaunes-ocré, semblables à un sol lunaire, aux roues de gruyère aux pâtes jaunes et aux saveurs d’alpage, aux camemberts bien faits, coulants, aux arômes puissants parfois légèrement ammoniaqués, et aux pâtes persillées belles comme des marbres de Carrare.
Ils se délectaient des saveurs de noisette, de lait cuit, allant du légèrement salé au piquent, d’épices et de cacao torréfié, de beurre… En riant sous cape des hygiénistes qui avaient perdu le goût et la saveur en croyaient vivre mieux.
Mais le mieux est souvent l’ennemi du bien, en l’occurrence du bon !
J’ai faim !