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Fanes de carottes
12 décembre 2008

Les musées improbables - 2

Des mots sur les toiles

Sébastien

Partie 4

Hugo, un petit garçon en vacances chez ses grands-parents s’ennuie.

Bravant l’interdit, et tout en montant l’escalier conduisant à l’étage, il se souvient qu’il s’est fait prendre la main dans le sac par son grand-père quelques jours auparavant. Il explorait alors son atelier de bricolage. Son grand-père lui raconte alors crûment comment sa grand-mère tue un lapin pour le dîner. Sous le regard horrifié de son petit-fils, il explique comment il récupère la peau et les os du lapin pour en faire une colle avec laquelle il apprête ses tableaux. La cruelle leçon avait fuir Hugo qui n’a vraiment pas envie de se faire prendre une seconde fois en en explorant l’étage de la maison.

***

Je m’enhardis en pénétrant dans le couloir de l’étage. Je ne fus guère surpris de constater que tout était d’une propreté irréprochable. Évidemment, dès l’instant où j’avais commencé à gravir les marches, je savais exactement quelle était ma destination. De toutes les pièces de l’étage, il y en avait une qui m’avait toujours été refusée. Et bien sûr cet interdit avait enflammé ma curiosité de petit garçon explorateur. Je connaissais bien sûr ces histoires terrifiantes où il était défendu d’entrer dans une pièce sous aucun prétexte. Je savais les découvertes lugubres auxquelles les impétrants devaient faire face, et les conséquences périlleuses engendrées par la curiosité, l’insoumission et la transgression.

Mais en fait, je me doutais de ce qui se cachait, là, au bout de ce couloir, derrière cette porte drapée de pénombre. Je tournai sans bruit le bouton de poignée. En retenant mon souffle, j’entrebâillai légèrement la porte et, constatant qu’aucune lumière artificielle n’émanait de la pièce et qu’aucune forme humaine ne hantait ces lieux, je me faufilai à l’intérieur en prenant soin, cette fois, de fermer la porte derrière moi. « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »

Je fus frappé par la clarté de la pièce. Une lumière douce, matinale venait lécher et adoucir les ombres des coins et des recoins de l’atelier. Car mon intuition, toute enfantine qu’elle fut, ne m’avait pas trompé, cette pièce était l’atelier où mon grand-père se retranchait pour peindre ses maudites toiles de lapin. D’ailleurs, l’odeur que j’avais sentie près de l’établi était perceptible, mais apaisée par le parfum douçâtre de l’huile de lin, enveloppée par des effluves de térébenthine et de pigments épicés.

En fermant les yeux, juste en humant ses senteurs multicolores, je pouvais l’imaginer cet atelier. Ordonné et rangé comme l’était le reste de la maison. Une armoire colossale en noyer massif où devaient être rangés les papiers épais et granuleux, les carnets d’esquisses, les mines de bois, les fusains et les sanguines, la gomme arabique, les craies et les pastels gras, les pinceaux, de formes variées, en poils de martre, de mangouste ou en soie de porc, les boîtes d’aquarelles, les plumes sergent-major et l’encre de chine. Sur une autre étagère, des pots multicolores à l’infini, pigments extraits de l’essence chamarrée et diversifiée du monde, un voyage exotique pour les yeux : des ocres du Vaucluse, des terres du monde entier : le rouge Anglais et le noir de Prusse ; des siennes des Ardennes, des terres d’Espagne, d’Italie ou de Chypre aux teintes gorgées ou brûlées de soleil ; des bleus, des azurs d’Outremer, des violets Ultramarine éclaboussés d’écume. La faune y serait représentée, du caca d’oie aux jaunes poussin ou canari, du vert perroquet, des pourpres, des carmins. Suivraient des noms aux couleurs des plantes : des roses Garance ou pêche, des oranges abricot ou mandarine, des verts avocat ou anis, des noirs de vigne… Les étiquettes sur les pots sembleraient répertorier le monde : une encyclopédie livresque extraite de l’essence des couleurs. Il y aurait aussi un chevalet orienté vers la fenêtre. Sur le parquet, sous le trépied, des giclures de couleurs, des fientes bigarrées, des coulures de peinture pure, des serpents aux éclats piquants, un monde sauvage, le magma de la création déchue, la jungle du déchet pictural.

Sur la toile tendue, imperméabilisé par cette colle de peau de lapin maintenant sèche et impénétrable, des traits à peine esquissés, une ébauche en devenir.

En ouvrant les yeux tous ces détails se volatilisèrent, car mon regard fut aussitôt attiré, comme hypnotisé, par la présence d’un secrétaire niché dans l’angle au fond de la pièce. La surface était presque aussi dégagée que celle de l’établi, quelques stylos à plume, un bloc de papier. Tout semblait être rangé dans les multiples tiroirs que recelait le bureau.

Seul un étrange coffret était posé sur la surface du sous-main en cuir. Étrange par sa taille qui était assez impressionnante, au moins une quarantaine de centimètres, et par son format carré, ce qui est rare pour une boîte, la plupart respectant des proportions rectangulaires calculées à partir du nombre d’or. En m’approchant, je constatai qu’elle était finement ouvragée, une marqueterie complexe mêlait de petites pièces carrées ou triangulaires, de couleur ivoire ou acajou. Je promenai mes doigts sur sa surface lisse et vernie. Le dessus de la boîte était très légèrement concave et les lignes légèrement courbées du damier accroissaient cet effet d’arrondi. Je ne l’avais pas vu sur le moment, mais le coffret était également serti de petites pièces de nacre, comme des boutons, et un liseré doré dessinait d’insolites arabesques sur le pourtour du couvercle. Que pouvait-on cacher dans cet écrin qui poussait le raffinement dans ses retranchements ?

Couleurs2

(Morceaux de dessins et photos InFolio)

**********
Ce texte répond à l'appel "Musée improbable"

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Commentaires
M
"Voyage exotique" parfaitement réussi. Des mots colorés à souhait (on ressent le fin connaisseur !)et nous sommes toujours dans l'attente ! Qu'y a-t-il dans ce coffret carré qui ne tient pas compte du nombre d'or ????<br /> Bravo Infolio pour la marqueterie de couleurs !
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