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Fanes de carottes
5 décembre 2008

Le plus délicieux des délices - 2

Fumet d'enfance

Pandora

- Tiens, goûte ça ! Tu m’en diras des nouvelles. Réserve spéciale, du 100 ans d’âge! C’est pas une boisson de fillette !
- Héhé ! Je vois que t’as pas perdu le sens de l’hospitalité. Mais dis donc ! T’aurais pas perdu un peu de poids ? Je te trouve tout ramollo, tout blanc-bec... T’étais pas un peu plus rougeaud avant ?
- M’en parle pas ! J’arrête pas de maigrir et je suis en train de me déplumer comme un vieil ours en pleine hibernation. Palsembleu, je vais bientôt finir comme un croûton tout rassis. J’en ai marre de manger végétarien, si ça continue, je ne ferai plus peur à personne.
- Pourtant ta femme, c’est un vrai cordon bleu. Je me souviens encore du délicieux délice qu’elle avait mitonné pour ton anniversaire.  On s’en était mis plein la panse...
- Moi aussi je m’en souviens, t'avais vraiment mangé comme un ogre !
- Et toi, t’avais un de ces appétits, une vraie faim de loup !

Et tous les deux de s’esclaffer bruyamment en cœur.

-  N’empêche que ça me manque. Qu’est-ce que c’était bon, ça croquait vraiment sous les dents. Elle mettait des petits oignons, des carottes, des patates, et quelques épices spéciales dont je ne me rappelle plus le nom. C’était presque aussi bon que ce que me préparait maman. Je partais à la chasse tôt le matin pour lui en attraper quelques uns et elle en choisissait un, en tâtant les rondeurs appétissantes. Elle les préférait tout jeunes pour qu’ils soient bien fondants. Ça mijotait pendant des plombes dans la grande marmite. Moi je rodais dans la cuisine en m’impatientant et elle, elle me surveillait pour pas que je resquille. Un délicieux délice mais aussi un plat qui me rendait ma vigueur d’antan.
- Héhé, un sacré bain de jouvence !
- Je retombais vraiment en enfance !

Et tous les deux de s’esclaffer encore.

- Enfin, ça fait un sacré bail tout ça. Il est loin le temps où ça grouillait dans les forêts.
- Ouais ! Et le temps où les gosses étaient des gosses. Sont devenus tellement futés que les rares fois où y en a un que ses parents ont lâché dans la nature, tu as un mal de chien à l’attraper, une vraie savonnette !
- Pffff ! Ils préfèrent jouer à leurs foutus jeux vidéo plutôt que de se balader en forêt.
- Et ils sont devenus vraiment méchants et égoïstes. Crois-tu que l’un d’entre eux irait apporter des provisions dans un petit panier à sa grand-mère ? Non ! Crois-tu qu’il irait tourner la chevillette chez Mère Grand ?  Que nenni !
- On m’a raconté qu’une bande de petits voyous a squatté la maison en pain d’épices de la sorcière de la forêt la semaine dernière. Ils ont taggué les murs à la crème chantilly en écrivant des trucs du genre « A bas les monstres » ou « Libérez la forêt » et ils ont vandalisé toute la baraque en ne laissant derrière eux que quelques miettes. La sorcière, a dû se carapater vite fait sur son balai sinon, c’est sûr, ils lui faisaient aussi la peau.
- Héhé, tu vas voir qu’on va bientôt se faire agresser par notre propre casse-dalle !

Et tous les deux de s’esclaffer à nouveau en se resservant un liquide verdâtre duquel il ne reste plus grand chose dans la bouteille. Ceci expliquant cela.  La porte s’ouvre alors avec fracas et les gros rires avinés de nos deux compères s’interrompent brutalement, les regards de connivence se transformant en regards gênés. Deux silhouettes se découpent à contrejour, menaçantes, dans la lumière aveuglante de la cour extérieure.
A mesure qu’elles se rapprochent, leurs pas claquant en résonnant sur les pavés de la salle principale du château, les ombres se matérialisent progressivement en deux femmes que tout oppose. La plus grosse, toute en rondeurs, est vêtue d’une robe verte informe recouverte d’un grand tablier, vert lui aussi et ses longs cheveux roux sont ramenés en un sévère chignon. Elle a de magnifiques yeux dont le vert est rehaussé par le rouge de son visage, la colère faisant ressortir les tâches de rousseur qui constellent ses joues. L’autre, aussi maigre que la première est grosse, porte une longue robe noire et un chapeau pointu sur des cheveux filasse.  Son visage très pâle, au nez crochu, semble tout aussi en colère.
Elles rejoignent un grand loup au pelage poivre et sel et un énorme ogre assis à une lourde table de bois qui essayent en vain de se donner une contenance et de cacher la bouteille, cet objet de plaisir devenu celui du délit. Ils se tiennent penauds devant leurs épouses dont ils n’osent pas affronter le regard. Le redoutable ogre les observe du coin de l’œil et semble se demander à quelle sauce il va être mangé et les oreilles du loup sont tombées si bas qu’on pourrait presque le prendre pour un teckel. Parce que ces dames, ou plutôt devrions-nous dire ces créatures, ne sont vraiment pas contentes. La Fée Carabosse se rapproche du loup d’un air sévère :
- Mais vous n’avez pas honte espèces d’ivrognes. Vous saouler en pleine après-midi ! Tu sais bien que ce n’est pas bon pour ton foie, le véto te l’a déjà dit.
- Héhé Cara, on ne faisait que trinquer à la santé du bon vieux temps, enfin tu sais quoi... du temps où... Oh ! J’aimerais tant pouvoir recroquer de l’enfant.
Et le grand loup de pousser sa chaise pour se reculer et hurler à la mort à l’intérieur du château, son cri faisant s’envoler toutes les chauves-souris et autres bestioles réfugiées sous les poutres du haut plafond. La fée Carabosse, radoucie, le regarde tendrement et pour lui rendre le sourire lui promet à l’oreille d’essayer d’attirer un enfant en se transformant en héroïne de manga lors d’une prochaine sortie scolaire dans leur forêt. Ou à défaut en un de ces stupides lapins ou cochons.
- Oui Bibiche, reprend l’ogre en se tournant vers son épouse, nous parlions de mon plat préféré, tu sais le délicieux délice, ces petits enfants que tu me mitonnais avec tellement d’amour. Je donnerais un bras pour en remanger une pleine marmite. Maudits parents qui ne laissent plus sortir leurs gosses dans les bois !
- Mais tu sais bien que même sans ça, je continuerais à te laisser au régime...
- Mais pourquoi Palsembleu ! tonne l’ogre d’une voix redevenue particulièrement menaçante.
- Parce que le docteur a dit que tu avais trop de cholestérol et que tu ne finirais jamais le millénaire si tu continuais à te goinfrer comme tu le fais !

*   *   *

Ce conte, tout droit sorti de sa marmite, répondait à l'appel du plus délicieux délice.

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Commentaires
M
Alors là Pandora tu nous a mitonné par le "menu" un délice d'ogre et de loup à conter dans toutes les chaumières !<br /> Belle imagination !<br /> J'ai beaucoup apprécié !
V
C'est bien vrai, j'en parlais l'autre jour avec le père fouettard, les enfants ne sont plus ce qu'ils étaient!<br /> Ils agissent en meute, armé, et n'hésite pas à tuer ceux qui s'opposeraient à eux!<br /> Légendes restez chez vous! <br /> Sourire<br /> Vanina
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