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Fanes de carottes
25 mai 2008

Le feuilleton du dimanche : "Matins anachroniques"

Joyeux anniversaire, Georges

par Papistache


Résumé de l’épisode N° 4
Georges use d’un subterfuge machiavélique à défaut d’être pédagogique pour tenter d’acheter le calme dans sa classe lors de la visite de l‘inspecteur.
Mais très vite le quiproquo s’efface. Il n’est pas question d’une inspection mais d’une mesure éducative d’urgence à prendre.
Georges réalise qu’il a accepté, sans réfléchir, d’accueillir, dans sa classe, un trentième élève particulièrement difficile.


Episode N° 5

Vendredi 21 mars 2008

La nuit a été agitée pour notre célibataire émotif. Sa classe est déjà difficile, comment va-t-il s’en sortir avec un énergumène supplémentaire ?
Lion de l’éducation  nationale ? Pigeon ? Dindon ? Il hésite, s‘emmêle dans les plis de sa couette, s’endort tard, néglige la sonnerie du radio-réveil et saute à bas du lit juste à temps pour voir, après une cavalcade éprouvante, sa classe monter les escaliers sous la férule de la directrice.
— Eh bien, mon petit Georges, je constate que votre rasoir a repris sa grève matinée.
— Grasse matinée ! Grasse matinée, pensa le petit Georges, c’est un rasoir indépendant, il n’est pas sous le joug du syndicat, lui !
Mais en fait, il se contente de bredouiller.
— Ah... Solange ! Bonjour... pas entendu... le réveil... le ferais plus... Et... le nouveau ?
— Pas de nouvelles nouvelles du nouveau ! sourit Solange, se trouvant particulièrement en forme pour un début de week-end.

            ***

Debout sur une table, Léa se pavane en singeant les contorsions de la grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf. Interpréter les textes poétiques, c’est écrit noir sur blanc dans les programmes officiels.
La classe applaudit. Léa minaude.
— Très bien Léa ! Le texte a un peu souffert, mais tu t’es rattrapée sur la gestuelle ? Un autre volontaire ?

A ce moment, deux coups secs sont frappés à la porte qui s’ouvre, laissant entrer dans la classe un grand garçon brun qu’un brigadier de gendarmerie tient énergiquement par l’oreille. La directrice annonce :
— Les enfants, voici un nouvel élève qui rejoint votre classe pour y achever son CM2. Monsieur l’instituteur, je vous recommande la plus grande vigilance.
Georges éprouve cette curieuse sensation de déjà vu. Il est parti sans avaler le moindre bol de café et il sait que la fatigue et la faim peuvent créer des hallucinations. Il demande, pour le principe car il connaît déjà la réponse qui va sortir de la bouche grasse du brigadier :
— Et quel est son nom ?
— Lucignolo ! J’ai terminé ma mission, mes respects !  Le gendarme sort, saluant la directrice de deux doigts portés à son bicorne. Solange le suit en refermant la porte sur elle.

Georges fait asseoir le nouveau, qui sent le tabac froid, à côté de Léa qui ne peut s’empêcher de murmurer :
_ Eh, je m’appelle pas Pinocchio ! Car, outre la poésie elle voue un amour immodéré aux DVD de la BCD et Comencini est son metteur en scène italien préféré.

En dépit des paroles rassurantes de Georges, qui perd sa timidité quand il s’adresse à des enfants, Lucignolo, qui s’appelle en fait Kevin, comme tout le monde, et Braillard, comme son père, ne desserre pas les dents jusqu’à l’heure du déjeuner. Les borborygmes qui s’échappent à intervalles réguliers de l’estomac vide de l’instituteur ne lui arrachent même pas un sourire quand la classe, elle, pouffe allègrement, si toutefois “pouffer” peut s’appliquer aux cascades de remarques et  rires francs qui s’entrechoquent à chaque spasme stomacal du pauvre professeur.

Parti sans confectionner son sandwich habituel, Georges se fait violence pour aller s’asseoir à la table des maîtres du restaurant scolaire. Comme il le redoutait, Julie s’installe à son côté, l’autre étant pressé contre Madame Daix qui peste contre la rupture de connexion Haut Débit la contraignant à se priver de « chat » avec ses cousins de Montréal.

— Alors le nouveau ? lance la belle instit.
— Ben... rien... muet... desserre pas les dents... pas facile...

L’énervement de Madame Daix se propage à ses membres supérieurs. Georges effectuerait bien une petite translation vers la droite, mais il devrait par ce geste supporter que sa cuisse touche celle de sa voisine. Il préfère courir le risque de recevoir une taloche destinée à “Alice” ou “Wanadoo” plutôt que de soumettre à la vue de ses collègues quelque manifestation corporelle invalidante. Ses gargouillements du matin ont largement suffi à son humiliation.

Mais les vociférations de Madame Daix flirtent avec les quatre-vingt-dix décibels. Julie se rapproche du jeune homme et lui parle à l’oreille. Georges serre les cuisses et fixe le contenu de son assiette. La fleur de thé ! Elle sent la fleur de thé !
— J’ai une amie psychologue — je te la présenterai, tu verras, elle est sympa — qui m’a donné un truc qui pourrait aider ton gamin.
— Ah...
— Oui, Tilu — tout le monde l’appelle Tilu — pense que par l’écriture le mutisme du gosse peut être contourné. Propose un travail d’expression écrite, ça peut le débloquer. Un jeu littéraire, des tautogrammes, des proverbes... enfin... réfléchis, tu dois avoir des  solutions ! Tu n’es plus un débutant ? Tu as quel âge, en fait !
Georges en est à sa onzième année d’enseignement. Son dernier anniversaire date de lundi. Seule sa mère y a pensé. La carte est arrivée avec deux jours de retard et la chère maman s’est trompée d’une année. Elle a  écrit : “Joyeux trente-cinq ans !” Le fils aimé pourra la ressortir dans un an, elle sera toujours d’actualité.

                ***

— Je vous propose d’écrire un lipogramme en “o” sur le thème de la peine et du chagrin.
Dit ainsi, cinq secondes auraient suffi à donner la consigne d’écriture. Mais les élèves ont dix ans, Georges a besoin de quinze minutes pour faire comprendre ce qu’il attend, toutefois la classe reçoit l’injonction positivement, c’est une classe de littéraires.

Du coin de l’œil, Georges surveille son Kevin. Il disperse çà et là des conseils, suggère l’emploi de la gomme et du crayon de bois, fait office de dictionnaire interactif et encourage les élèves de quelques tapes amicales sur l’épaule. Il adore ces moments de communion.
Après un quart d’heure de concentration laïque, il s’approche de Kevin dont la page est encore vierge.
— Si l’obligation de te passer de la lettre “O” te gêne, je t’autorise à ne pas la respecter.
L’enfant lève les yeux vers l’instituteur d’un air de défi. Georges profite d’une question de Vanessa pour esquiver la confrontation. Toutefois, Kevin se penche sur sa feuille.

En fin d’après-midi, Georges annonce qu’il corrigera les textes pendant le week-end et que, dès le lundi suivant, les enfants pourront retravailler, en salle informatique, leurs productions commentées. Les semaines paires, l’accès au saint des saints s’ouvre à sa classe.
Il a hâte de lire et annoter les trente copies, non  pas parce qu’elles sont trente mais ce qu’il a entrevu en survolant les tables lui a semblé plutôt sympathique.

à suivre...

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Commentaires
M
C'est Lasos d'Hermione qui aurait été content !!!!
V
Je l'aime bien, cet épisode. Ouais... c'est mon préféré. <br /> Je le trouve plus touchant que dans les autre, notre Georges. Je ne sais pas pourquoi...<br /> <br /> Les fanes ont rédigé les trentes copies? Chouette...
P
Véron, lipothymie ?<br /> <br /> Tilu, c'était psychologue ou Mme Daix ?<br /> <br /> Whaooh ! Trente copies. Ne me dites pas que les Fanes ont sous traité leur défi en confiant le sujet à une vraie classe ?<br /> En seraient-elles capables !<br /> Vivement lundi !
V
les fanes dans le défi du lundi vont rendre trente copies ! contrairement au défi du samedi ,deux publications ne suffiront pas , nous aurons de quoi lire toute la semaine ,en attendant Georges !
T
Ce Georges.... je l'aime bien... <br /> Me voilà embauchée comme psy ,à présent.... Pauvre Georges... Il est de plus en plus à plaindre....<br /> Suis curieuse de lire la copie de Kévin, moi...
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