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Fanes de carottes
29 avril 2008

De l'autre côté de minuit ?

« Le droit a été inventé pour régler nos rapports mutuels. La loi fait de nous ce que nous sommes, qu’on l’observe ou qu’on la viole. L’homme est libre. Sa liberté n’est limitée que par le droit à la liberté des autres. Le châtiment…n’est qu’une vengeance. Surtout quand il porte préjudice au lieu d’empêcher le crime. Au nom de qui se venge le droit ? Vraiment au nom des innocents ? Sont-ce les innocents qui font les lois ? »[1]

Alors que Piotr est en train d’exposer sa conception de la justice devant ses pairs - qui doivent juger… de quoi ? Ce n’est pas expressément dit, probablement de sa capacité à passer du statut d’avocat stagiaire à celui d’avocat confirmé -, Yatzek et sa future victime cheminent l’un vers l’autre. Et à cet instant les rôles semblent inverser : Yatzek, malgré ses presque 21 ans, semble à peine sorti de l’enfance et il erre dans les rues de Varsovie, solitaire, un peu perdu et probablement en quête de sens. Ce qui, rappelle Piotr, est le propre de tout homme :

« Tout homme se demande si ce qu’il fait a un sens. De plus en plus, il est difficile d’en trouver un, ainsi que la foi en ce que l’on fait ou ce que l’on veut faire. On manque de critères, ou pis encore, de valeurs. »[2]

Quant à sa future victime, un chauffeur de taxi, dont Krzysztof Kieślowski et son scénariste, Krzysztof Piesiewicz, font un portrait en pointillé dans le Décalogue V, c’est un voyeur, que l’on imagine facilement pervers, un individu mesquin, qui abandonne des clients dans le froid car ils n’ont pas l’heur de lui plaire, qui maltraite les chiens par pur sadisme, et l’on suppose qu’il agit de même avec les humains… Bien sûr, ça ne change rien, même s’il aurait du mal à entrer dans la catégorie, très prisée par certains media, d’ « innocentes victimes ». En effet, et même si la personnalité de la victime et en particulier ses relations avec l’accusé peuvent constituer des circonstances atténuantes, toute victime n’est-elle pas par définition innocente du crime qu’elle subit ? Et parler de « victimes innocentes », n’est-ce pas implicitement affirmer que certaines victimes le seraient moins ?

Le Décalogue V oppose deux conceptions de la justice : une justice qui élimine –physiquement dans la Pologne des années 1980 que décrivent Kieślowski et Piesiewicz[3], ou socialement dans nos démocraties abolitionnistes - et une justice qui réinsère, celle en laquelle croit Piotr. La logique d’élimination, qui est à l’œuvre dans notre système pénal, est renforcée par l’idée de plus en plus répandue selon laquelle l’enjeu principal de la justice serait désormais la réparation et la reconstruction des victimes.

Jusqu’à la fin des années 80, les victimes n’existaient pas dans le procès pénal. A l’époque, le système judiciaire dissuadait les victimes de se porter partie civile, estimant qu’elles gênaient le bon déroulement d’une justice dont l’objectif était avant tout de juger le criminel et de protéger la société. Depuis, les victimes se sont vues reconnaître des droits et un statut et la justice prend désormais plus en compte la réparation du préjudice subi.

Cette reconnaissance – nécessaire – des victimes dans le système judiciaire est le reflet de notre époque, qui est (ou se veut) compassionnelle et qui essaye de nous persuader que pour exister, pour être reconnu, quelle que soit la reconnaissance vers laquelle on tend, il faut s’exposer, se livrer : « La victime, en prenant la parole publiquement pour dire sa souffrance, susciterait la compassion d’autrui, ce qui lui permettrait d’être reconnue. Les frontières morales auraient donc bougé en moins d’un siècle : si avant, on était respecté parce qu’on taisait sa souffrance, aujourd’hui on est reconnu parce qu’on la dit. »[4] Une évolution de la société dont les media ont pleinement conscience et à laquelle ils contribuent activement en offrant une large vitrine aux faits divers et en privilégiant « l’image voyeuriste de la victime souffrante »[5].

On peut douter que cette surmédiatisation des victimes contribue en quoi que se soit à apaiser leurs souffrances. Bien au contraire, comme l’affirme l’avocat Michel Konitz : « Il est temps de dire la vérité aux victimes : votre douleur ne cessera pas par le procès pénal, ce deuil qu’on vous promet est un mirage et il ne peut être l’enjeu principal de ce qui doit se dérouler dans une salle d’audience. Que dire d’ailleurs à tous ceux dont l’agresseur ne sera jamais identifié ? Que leur deuil est impossible ? L’exposition médiatique, elle, les cantonne dans ce statut. A-t-on le droit de marquer (une victime) au fer rouge de son agression, de (la) jeter en pâture à des millions de téléspectateurs ? Cette affaire ne révèle en réalité qu’une seule chose : les intérêts de la victime ont été piétinés, en même temps que nos principes judiciaires, qui voudraient que la faute d’un seul homme n’entraîne pas la stigmatisation de toute une population pénale. Les propagandistes de la cause victimaire se moquent bien des victimes en général et de l’institution judiciaire en particulier. »[6]

Les propagandistes de la cause victimaire ne sont pas uniquement les media. Les politiques eux aussi surfent sur cette vague compassionnelle et instrumentalisent la peur que suscitent certains faits divers, qui sont « montés en épingle, scénarisés, dramatisés, souvent sans aucune précaution »[7]. C’est particulièrement le cas pour les crimes pédophiles. Ca l’est aussi pour la délinquance, comme le rappelle le procureur Dominique Barella : « Ce n’est pas un droit des victimes que l’on fait naître aujourd’hui, mais un droit de la peur. Je ne nie pas la montée de l’insécurité dans certaines banlieues. Le chômage, la précarité, les erreurs d’urbanisme, la ghettoïsation sont autant de facteurs de violence et de délinquance qui nourrissent les angoisses les uns des autres. Celles des habitants de ces quartiers, qui se sentent abandonnés et exclus. Et celles des Français en général, qu’une telle situation inquiète. Le problème, c’est qu’on n’a jamais pris ces questions à bras-le-corps, jamais fait de la réinsertion une véritable priorité. (Le pouvoir exécutif) instrumentalise cette violence, stigmatise des populations, joue à fond de la peur de l’autre. (…) (Il) met systématiquement en avant la délinquance de rue parce que c’est elle qui fait peur, c’est elle qui paye sur le plan électoral ; quand vous faites peur, vous créez des réactions de conservatisme extrêmement fortes : le fameux recours au parti de l’ordre. »[8] Résultat : les responsables politiques réagissent « au quart de tour sur chacun des faits divers qui font la une de l’actualité, annonçant dans la précipitation telle ou telle mesure réglementaire ou législative, hors de toute réflexion d’ensemble »[9], sans tenir compte, autrement que sur le plan de la rhétorique, de l’intérêt des victimes et en niant, bien souvent, les droits des accusés.

C’est en ce sens qu’il faut analyser la contestation actuelle de l’irresponsabilité pénale. Pour certaines victimes – et pour une large part de l’opinion publique, en tous cas telle qu’elle est médiatisée – l’absence de procès équivaut à une non-reconnaissance de leur statut de victimes. Que des victimes puissent être heurtées par le terme de non lieu[10] est compréhensible[11]. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est que des responsables politiques se saisissent des revendications de ces victimes en les laissant croire que le fait de juger une personne qui était irresponsable au moment des faits leur apportera un quelconque réconfort. Dominique Barella dénonce ce choix politique de la pénalisation à outrance : « Qu’on cesse de vouloir tout pénaliser ! Qu’on ne fasse pas jouer à l’institution judiciaire de ce pays un rôle qui n’est pas le sien ! Bien sûr qu’il faut aider les victimes, en les prenant réellement en charge. Mais dans le cas présent, il ne s’agit que de les instrumentaliser. Est-ce respecter les victimes que de vouloir institutionnaliser un simulacre de procès, une sorte d’audience cathartique au cours de laquelle on va déclarer « coupable » quelqu’un qui n’est pas en état de se défendre, de s’expliquer, de demander pardon, quelqu’un qui ne comprend pas vraiment ce qu’il a fait, qui ne s’en souvient parfois même pas ? »[12]

L’on pourrait donc être coupable mais pas responsable… Une société qui se prétend civilisée peut-elle tolérer cela ? Non. C’est précisément au nom de la dignité que les jurisconsultes du droit romain ont établi le principe de l’irresponsabilité pénale, ce que rappelle Serge Portelli, le Vice-Président du Tribunal de grande instance de Paris dans le documentaire de Jacques Cotta et Pascal Martin, La révolte des victimes : « Pourquoi est-ce qu’on ne juge pas les fous ? (…) Vous remontez au droit romain. Les jurisconsultes (les juristes de l’époque) avaient une explication qui est extraordinairement moderne. Ils disaient que les malades mentaux sont des personnes qui sont en grande souffrance et que du coup ce n’est pas la peine d’en rajouter. Ce sont des gens qui sont suffisamment punis dans leur corps, dans leur esprit et dans leur âme et (…) ce que la justice peut rajouter derrière, c’est ridicule. Non seulement, c’est ridicule mais c’est indigne. Et c’est parce que c’est indigne que ça ne doit pas passer par le droit ni par la justice. »[13]

Si les pouvoirs publics portent un réel intérêt aux victimes, peut-être devraient-ils améliorer leur prise en charge ? Dans La révolte des victimes, les parents d’une victime évoquent la reconstitution du meurtre de leur fille, moment où ils ont eu besoin d’une aide psychologique, l’ont demandée et se sont entendus répondre qu’ils devaient attendre 5 semaines, aucune prise en charge n’étant possible avant cette date.

Il y aurait donc moyen d’améliorer les droits des victimes sans porter atteinte aux droits des accusés et en faisant le choix d’une justice qui réinsère. Un choix politique qui semble sensé, puisque, comme le dit Robert Badinter dans le documentaire de Jacques Cotta et Pascal Martin : «  ce qu’hélas le public, d’une certaine manière, rejette inconsciemment, ils sortiront (de prison). Et il ne faut pas qu’ils sortent plus dangereux qu’ils n’y sont entrés. C’est cela la première exigence pour eux et pour nous. »[14] Pourtant, ce n’est pas le choix qui est fait. Ce qui domine aujourd’hui dans la politique pénale, c’est une logique d’élimination dans laquelle l’accusé est bien souvent réduit à son crime :

Yatzek : « Vous m’avez appelé à la sortie du tribunal. Vous avez appelé « Yatzek »…

Piotr : « C’est vrai. Je voulais…

- J’ai presque 21 ans, mais quand vous m’avez appelé, j’ai failli pleurer.

- Je disais au tribunal…

- Je ne sais pas. Je n’ai pas écouté. Juste quand vous m’avez appelé… Ils étaient tous… Ici aussi… ils sont tous contre moi.

- Contre ce que vous avez fait.

- C’est la même chose. »[15]

C’est en matière de récidive que la prise en compte de l’accusé et sa non réductibilité à l’acte commis semblent aujourd’hui le plus en danger. Parmi les mesures adoptées pour lutter contre la récidive, trois sont particulièrement inquiétantes : les peines planchers, la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 ans ou plus en cas de récidive et la rétention de sûreté.

Instaurées par la loi sur la récidive de juillet 2007, les peines planchers sont des peines minima qui doivent être appliquées aux délinquants multirécidivistes, soit dès un troisième passage devant le juge, lorsque la peine encourue est d’au moins 3 ans. Pour faire accepter cette mesure à l’opinion publique, les responsables politiques qui la défendaient ont sous-entendu – très fortement – que cette mesure était destinée à compenser le laxisme des juges. Or, entre 2002 et 2005, le nombre de peines de prison ferme prononcées chaque année est passé de 97 000 à 113 000, soit une augmentation de 16,5 %[16]. Difficile alors de taxer les juges de laxisme. Outre le fait que les peines planchers contribuent à rendre plus difficile une réelle individualisation des peines, elles contribuent à renforcer l’idée que la seule peine possible est l’emprisonnement. Ainsi, selon le procureur Dominique Barella,  « sous la pression des politiques et de l‘opinion publique, (les juges) ont été conduits à faire de la prison non plus la peine sommitale, mais la peine centrale. On a réussi à faire entrer dans la tête des gens que la seule peine valide était la peine de prison. Jusqu’où ira-t-on ? 650 000 condamnations sont prononcées chaque année. Faudra-t-il arriver à prononcer 650 000 peines de prison par an ? (…) (La) « tolérance zéro », « c’est l’intolérance totale ! La peine de prison devient automatique, sans considération des circonstances de l’infraction, ni de la personnalité de l’accusé. L’idée même de réhabilitation est mise en doute. Une telle pensée se situe dans une logique de défiance tous azimuts, vis-à-vis du juge, vis-à-vis du délinquant, vis-à-vis de l’homme en général. »[17]

Autre mesure résultant de la loi sur la récidive de juillet 2007 : la suppression de l'excuse de minorité pour les récidivistes de plus de 16 ans. Même s’il existe un certain nombre d’exceptions qui en réduisent la portée, cette mesure fait accepter l’idée qu’un mineur de plus de 16 ans, que la société ne considère pas assez « formé » - ou pas assez conformé ? – pour, par exemple, pouvoir voter, pourrait être poursuivi comme un majeur. Cela accrédite aussi l’idée que la solution au problème de la délinquance est nécessairement répressive. Une idée que les gardiens de prison eux-mêmes - en l’occurrence la CGT pénitentiaire - contestent estimant qu’elle va « engendrer très rapidement une augmentation remarquable du taux d'incarcération et de récidive »[18]. Une récidive qui, comme l’affirme Smith, et à travers lui l’esprit brillant et libre qu’est Alan Sillitoe, dans La solitude du coureur de fond, ne s’explique pas uniquement par le contact avec d’autres délinquants - d’autres « hors-la-loi » - mais aussi par le traitement que réservent les « pour-la-loi » aux « hors-la-loi » :

« La maison de correction ne m’a pas fait souffrir et, comme je n’ai pas eu à me plaindre, j’ai pas à raconter ce qu’ils me donnaient à manger, à quoi ressemblaient les dortoirs ou comment ils nous traitaient. Mais la maison de correction a pourtant de l’effet sur moi. Non elle ne me redresse pas l’échine, parce que, depuis le jour de ma naissance, je ne l’ai jamais courbée. L’effet que la maison de correction produit sur moi, c’est de me montrer ce qu’ils ont essayé d’utiliser pour nous faire peur. Ils ont d’autres moyens aussi à leur disposition, comme la prison et finalement la corde. C’est comme quand je me précipite pour tabasser un type pour lui arracher son manteau et que tout à coup je donne un grand coup de frein parce qu’il brandit un couteau et qu’il le lève pour me saigner comme un porc si je m’approche trop près. Ce couteau, c’est la maison de correction, la taule, la corde. Mais à partir du moment où vous avez vu le couteau, vous apprenez un peu à vous battre sans armes. C’est indispensable parce que vous n’aurez jamais ce genre de couteau en mains et ce combat sans armes, c’est pas très compliqué. Et pourtant, c’est comme ça et vous continuez à vous jeter sur ce type, couteau ou pas en essayant de lui prendre le poignet d’une main et le coude de l’autre en les maintenant avec force jusqu’à ce qu’il laisse tomber le couteau.

Vous voyez, en m’envoyant en maison de correction, ils m’ont montré le couteau et à présent je sais ce que je savais pas avant, c’est que, entre moi et eux, c’est la guerre. (…) maintenant qu’ils m’ont fait voir le couteau, que je pique quelque chose d’autre ou pas, je sais qui sont mes ennemis et ce que c’est que la guerre. »[19]

C’est aussi au nom de la lutte contre la récidive que la loi instaurant une "rétention de sûreté" est entrée en vigueur le 26 février 2008. Cette loi permet, après l’exécution de la peine de prison, de prolonger, sans limitation de durée, l’enfermement au sein de "centres socio-médico-judiciaires" de personnes, qui avaient été condamnées à au moins 15 ans de réclusion criminelle pour un certain nombre de crimes (meurtre, assassinat, pédophilie…) et qui sont considérées comme d’une « particulière dangerosité », un concept que la loi ne définit pas.

La rétention de sûreté pose problème d’un point de vue éthique : désormais des personnes, qui ont purgé leur peine, pourront rester enfermées indéfiniment pour des crimes potentiels ! Le taux de récidive pour les crimes visés par la loi est de 1 %. Comment pourrait-il être possible de distinguer parmi tous les détenus emprisonnés pour les crimes en question les 1 % qui présentent une « particulière dangerosité » et pour lesquels, autre condition posée par la loi, la rétention est l'unique moyen de prévenir la récidive, dont la probabilité doit être "très élevée" ? Du fait de la quasi impossibilité de définir la « particulière dangerosité » d’un individu et la probabilité « très élevée », qu’une fois sorti de prison, il récidive, ne sera-t-on pas tenté de maintenir en rétention de sûreté les 99 % qui n’auraient pas récidivé ? Le ferait-on, cela n’empêcherait pas la survenance de tels crimes.

Cette loi repose sur une conception déterministe de l’homme selon laquelle certains être humains seraient « par nature » dangereux et prédisposés à commettre des actes criminels. Ainsi, comme le souligne Emmanuelle Perreux, la présidente du Syndicat de la magistrature, « pour la première fois en France, on propose d'enfermer les gens non pas en fonction de ce qu'ils font mais pour ce qu'ils sont et ce qu'ils pourraient faire »[20]. Une conception à mille lieux de celle de Kieślowski et Piesiewicz, qui, dans le Décalogue V, montrent avec finesse et intelligence qu’il n’y a pas de prédestination au crime : Yatzek aurait pu ne pas monter dans ce taxi, il aurait pu ne pas y monter seul ou, une fois dans le taxi, il aurait pu renoncer. Les 10 chefs-d’œuvre qui constituent le Décalogue sont fondés sur une conception de l’homme en tant qu’être libre, donc responsable, et qui se doit de faire des choix et d’assumer ses actes ou ses inactions. Cependant si l’homme est libre, il vit en société et dans une société qui contraint ses choix et ses possibilités. Ainsi, si Marysia, la sœur adorée de Yatzek n’était pas morte et si Yatzek ne se sentait pas – à tort – responsable de sa mort, si sa culpabilité et son chagrin ne l’avaient pas conduit à fuguer, si cette petite fille croisée dans les rues de Varsovie, qui lui rappelait Marysia, ne lui avait pas seulement souri mais lui avait parlé…, le destin de Yatzek et celui du chauffeur de taxi auraient été différents :

Yatzek : « Je me disais… si elle avait vécu peut-être… que je ne serais pas parti. Je serais resté. C’était ma sœur. J’avais trois frères mais une seule sœur. Elle me… (…) c’était ma préférée. Tout aurait pu tourner autrement. Peut-être… Peut-être ? »

Piotr : « Ca n’aurait pas eu lieu.

Yatzek : « Oui. Je ne serais pas ici. »[21]

Derrière la loi qui a instauré la rétention de sûreté, se cache également l’absence de volonté des responsables politiques de mener une véritable politique pénitentiaire incluant l’idée que le détenu est voué à sortir de prison une fois sa peine accomplie et prévoyant, pour que sa sortie de prison se fasse dans les meilleures conditions possibles, un suivi et un accompagnement des détenus en matière de réinsertion ainsi qu’une prise en charge psychologique, voir psychiatrique, si nécessaire. Ce que dénonce Serge Portelli, le Vice-Président du Tribunal de grande instance de Paris : « Aujourd’hui c’est presque une escroquerie. On ne veut pas mener une véritable politique pénitentiaire donc on crée des peines supplémentaires mais qui peuvent durer une éternité, une éternité parce que de toute façon comme on ne voudra jamais rien faire pendant la prison, on sera en permanence obliger de créer de nouvelles peines qu’on appellera, comme on voudra, médico-socio-judiciaires… pour essayer de compenser l’inaction première de l’Etat. La problématique c’est celle-là et il n’y en a aucune autre. Parce qu’actuellement, et c’est le plus grave, à force de créer toutes ces peines là, on rentre, en tous cas dans l’esprit de l’opinion publique, dans une logique de l’élimination. »[22]

Pour découvrir les 10 chefs d’œuvre d’intelligence, de lucidité et d’humanité qui constitue le Décalogue de Krzysztof Kieślowski, Arte propose une animation (un peu) interactive avec « informations complémentaires, extraits vidéos et analyses de spécialistes » : http://www.arte.tv/fr/cinema-fiction/Krzysztof-Kie_C5_9Blowski/Le-Decalogue/1956190.html

Et si vous n’avez pas encore eu le bonheur de lire cette autre merveille qu’est La solitude du coureur de fond d’Alan Sillitoe, je vous envie ce bonheur.


[1] Krzysztof Kieślowski, Le Décalogue V. Tu ne tueras point (extrait).

[2] Idem.

[3] Si le crime de Yatzek nous est montré dans toute sa cruauté - jamais l’idée que tuer, c’était retirer la vie à quelqu’un, et à quelqu’un qui résiste, ne m’avait autant frappée -, son assassinat « au nom de la République populaire de Pologne » ne l’est pas moins. C’est bien d’un double meurtre dont il s’agit et les deux, du fait de la longueur des scènes et de la multitude des détails, sont également insoutenables.

[4] Régis Meyran, « Les effets pervers de la victimisation », Sciences humaines, n° 178, janvier 2007 - http://www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_article=15163 

[5] Idem.

[6] Michel KONITZ, avocat, « Les mirages de l’hystérie victimaire. Le deuil ne peut être l’enjeu principal d’un procès pénal », Libération,  3 septembre 2007 - http://www.liberation.fr/rebonds/275832.FR.php 

[7] « On a fait naître un droit de la peur », Télérama, n° 3022, 12 décembre 20077, p. 46.

[8] Idem, pp. 44 et 46.

[9] Idem, p. 46.

[10] Un non-lieu signifie que l’accusé n’étant pas responsable au moment des faits, il n’y a pas lieu de continuer à instruire et à juger et non pas que les faits n’ont pas eu lieu.

[11] Cette demande des victimes a été intégrée dans la loi sur la récidive du 26 février 2008 qui a remplacé le terme « non lieu » par l’expression « ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».

[12] « On a fait naître un droit de la peur », Télérama, n° 3022, 12 décembre 20077, p. 48.

[13] Jacques Cotta et Pascal Martin, La révolte des victimes, 2008 (diffusé sur France 2 le 10 avril 2008).

[14] Idem.

[15] Krzysztof Kieślowski, Le Décalogue V. Tu ne tueras point (extrait).

[16] « On a fait naître un droit de la peur », Télérama, n° 3022, 12 décembre 20077, p. 46

[17] Idem, p. 46.

[18] Jacky Durand, « Peines plancher pour récidivistes », Libération, 24 mai 2007.

[19] Alan Sillitoe, La solitude du coureur de fond, Points, 1999 (1960), pp. 18-20.

[20] « Au Sénat, Rachida Dati défend la rétention de sûreté des criminels dangereux », Le Monde, 30 janvier 2008.

[21] Idem.

[22] Jacques Cotta et Pascal Martin, La révolte des victimes, 2008 (diffusé sur France 2 le 10 avril 2008).

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Commentaires
M
Même réflexion que Rose ... je vais chercher de ce pas ce livre.
C
Je me souviens très bien du décalogue et de ce film en particulier. très intéressant et je viendrais le relire d'autant que j'ai déjà pu rencontré ces réflexions mais de façon plus éparse
I
whouch. C'est dense, mais très intéressant. Effrayant aussi. <br /> <br /> Je suis toujours ébahie par la recherche documentaire que ça doit demander.
E
Je renchéris: "La solitude du coureur de fond" de Silitoe est vraiment une nouvelle très belle et essentielle. Lisez-la!
R
Encore un très bel article ; et non moi je n'ai pas encore lu Sillitoe...
Fanes de carottes
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