Horloges - 5
Microcosme de comtoise
3ème partie
InFolio
Ils étaient exténués, quelques-uns même manquaient à l’appel. Mais ils n’avaient pas trouvé de nouveau refuge. Les matériaux accessibles ne nous étaient pas favorables, pas moyen de les percer.
Nos explorations ne s’arrêtèrent pas pour autant, d’autres missions externes furent mises en place, en vain.
L’étude des vibrations stridentes battait également son plein. En faisant un trou dans la paroi de la galerie lors de chaque grande vibration accompagnée du bruit aigu, nous découvrîmes que ce phénomène se reproduisait toujours le même nombre de fois pendant un cycle d’obscurité.
Petit à petit, une régularité fut même relevée. Sur la moitié de nos pattes, ce qui fait trois fois de suite, il y avait un son bref. La fois qui suivait avait une durée variable.
En étudiant ce son de durée variable, une nouvelle observation fut faite. Sa durée était d’abord croissante, le nombre de saccades augmentant d’une unité à chaque fois. Il croissait jusque mes pattes ajoutées aux pattes d’un autre colon, pour revenir ensuite à un seul son bref. Le retour à une seule saccade ayant lieu deux fois par cycle d’obscurité.
Aujourd’hui, alors que je vous parle, pour l’histoire et la mémoire de notre groupe, je me fais vieux. Mes cycles sont comptés. Je suis l’ancien auquel vous vous adressez pour les conseils. Alors écoutez-moi. Même si nous ne comprenons ni le sens ni le but de tous ces bruits et de ces mouvements, nous savons aussi que la colonie ne peut, dans l’état actuel des choses, quitter ce bois. Nous devons donc en prendre soin, continuer à nous y adapter. Ce bois est encore grand, il y a un grand volume inexploité pour les générations futures. N’affaiblissez pas trop sa base, ni ses parois comme nous vous l’avons toujours enseigné, il ne doit pas s’écrouler.
Et tout ceci n’est pas mauvais.
Avez-vous remarqué, ceux qui ont connu l’avant, comme moi, que la période froide n’existe pas ici ? Nous n’avons plus cette eau qui parfois ruisselait sur la paroi externe, risquant de noyer nos galeries !
J’ai aussi le sentiment, au fond de moi, d’avoir vécu bien plus longtemps que je ne l’aurais dû, de ressentir plus de choses qu’avant. Peut-être est-ce grâce à la douce température qui règne en ces lieux. Peut-être est-ce grâce à ce poison qui a changé des choses en nous.
Nous ne craignons d’ailleurs plus ses effets. Si nous arrivions à trouver un bois pour fonder une nouvelle colonie, je crois que nous n’aurions plus besoin de le tester. Il n’y a plus de cobayes dans notre colonie, et c’est aussi bien.
Et les plus jeunes d’entre vous, qui n’ont pas connu l’avant, ne sont même pas conscients de la vibration continue du bois. Vous êtes totalement adaptés à cet environnement soumis à de brusques vibrations. Vous n’avez pas peur comme nous avons eu peur, c’est naturel pour vous !
Nous avons commencé à donner des noms à ces coups saccadés, une patte, deux pattes, trois pattes ne suffisant plus à les désigner. Ils rythment nos vies. Combien de fois ai-je entendu l’un de vous dire, par exemple, qu’après le troisième coup simple après le grand tumulte de - attendez, mes trois pattes et deux encore, on avait dit que c’était troi-deu, ou treu comme certains disent déjà ? – vous alliez faire ci, ou arrêter ça… Qui se réfère à l’obscurité maintenant ?
Allez, j’ai trop parlé, trop de coups ont retenti depuis que je vous ai réunis pour m’écouter. Je dois me reposer maintenant. Ne me dérangez pas avant le tumulte de troi-troi-deu.
FIN