Recettes littéraires

Carottes à l'orientale

Rose

Tout devait être parfait.

A quatorze heures juste, elle saisit la botte de carottes achetées le matin au marché et leur ôta leurs fanes d’un coup de ciseaux précis. Un instant plus tard, la poubelle se refermait sur le bouquet vert.

Elle avait troqué les ciseaux contre un éplucheur à l’aide duquel elle émettait rythmiquement de longues et fines épluchures, qui s’entassaient avec une légèreté parfois un brin désordonnée. Un instant plus tard, le petit monticule de pelures allait s’étaler en éventail sur les fanes abandonnées. Les carottes, elles, se serraient dans un récipient d’eau froide.

Elle avait troqué l’éplucheur contre un couteau bien aiguisé, à l’aide duquel elle détaillait les carottes en petits bâtonnets. Il était difficile d’obtenir toujours le même calibre, mais elle s’y employait, autant que possible. Au milieu de l’ouvrage, elle déposa son couteau, et, de sa main mouillée, pressa le bouton de la radio.

Une musique orientale envahit la cuisine.

En guise d’accompagnement, le couvercle sur la casserole trembla. Alertée par ce frémissement métallique, elle souleva le couvercle et jeta toutes les carottes bien taillées dans le bain chaud ; un nuage de vapeur lui enveloppa le visage. Elle se souvint qu’elle voulait se faire un masque, afin d’avoir la peau la plus douce possible. Elle s’accorda une seconde devant le miroir de l’entrée, dans lequel elle constata que son visage, exempt du moindre point noir, manifestait sa santé ordinaire. Puis elle revint à ses carottes, garda les yeux rivés sur l’horloge. Il fallait que le bain les attendrisse, les rende un peu fondantes, mais pas plus.

Quelques minutes plus tard, les carottes fumantes furent donc extirpées de l’étuve et déposées dans un saladier qu’elles couvrirent de buée. Une première cuillerée d’huile d’olive vint les napper, suivie de plusieurs autres, jusqu’à ce que, brassées en tous sens, elles soient intégralement enrobées du liquide onctueux.

Elle les saupoudra alors de sel – fit quelques retouches, puis actionna le moulin à poivre, et enfin sema de la façon la plus uniforme possible des graines de cumin. Elle mélangea afin que les graines s’immiscent plus intimement au sein des bâtonnets de carottes et abandonna le saladier le temps d’un bain. Quand elle revint dans la cuisine, le visage verdi au masque purifiant, le saladier s’était rafraîchi. Elle le recouvrit d’un film et le rangea dans le frigo, où elle l’oublia le temps de recouvrir son corps entier d’huile parfumée, dans la salle de bain embuée.

A dix-neuf heures trente, elle le tira de son caveau glacé et saupoudra les bâtonnets de carottes de basilic. Ensuite elle laissa le saladier traîner un peu sur la table. Malgré les seize degrés, elle décida d’accueillir son hôte au jardin, où l’orange givré des carottes se marierait si bien au vert de la pelouse. Elle transporta le saladier sur la table de jardin, alluma quelques bougies, ajusta un châle sur ses épaules. Elle n’entendit pas sonner la première fois. Finalement, le visiteur poussa la porte et elle fut tirée de sa rêverie par la fuite précipitée d’un chat roux dans le jardin. Son hôte était au milieu du salon, caché derrière un grand bouquet de fleurs. Elle ne distingua d’abord que sa chemise mauve et ne put réprimer une grimace de déception.

Comments

[Caro(carito)]

J'adore la chute

[papistache]

Beaucoup de sensualité dans cette écriture.

"Mais quand il s'offrit à lui tendre sa chaise, les rayons obliques du soleil s'arrêtèrent sur un fin pinceau de poils mordorés que le poignet de sa chemise ne retenait pas.
Elle ne put s'interdire de remonter — visite purement virtuelle à cette heure — l'avant-bras puis le bras du galant avant de visualiser un torse auréolé de radicelles où, sans doute — mais il resterait à le vérifier — se sublimeraient ces effluves que seule la confusion des sexes donne à sourdre aux corps des amants.
Plus tard,il serait temps de transmettre quelques valeurs accessoires."

[véron]

mais moins romantique, on peut utiliser une mandoline à légume !