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Fanes de carottes
27 octobre 2007

De l'autre côté de minuit ?

 

« De l’autre côté de minuit ? » est le lieu - ou le moment - où le réel et la fiction se croisent et s’entrechoquent. En particulier là où la fiction - la SFF bien sûr, mais aussi les romans noirs, voire la littérature « blanche », des films… - nous permet de prendre de la distance par rapport au réel et de mieux le comprendre.

« (…) vous avez un miroir, tout ce qu’il y a de plus normal a priori. En fait, c’est un écran vertical et derrière est répartie toute une série de mini-caméras. Lorsque vous vous regardez dans la glace, les caméras se déclenchent et enregistrent votre visage sous tous les angles. Elles envoient les images à l’ordinateur qui les traite avec différents filtres, les retouche – souvent en gommant les rides, en accentuant la couleur des yeux ou le dessin des lèvres… L’image retouchée est ensuite affichée sur le mirécran. Le tout se fait en temps réel, de sorte que vous avez vraiment l’impression de voir votre reflet dans une glace alors que… alors qu’il s’agit d’une image vidéo remaniée. Les gens achètent ça, vous savez ! Vous avez un nez tordu, ou des boutons, trop de rides : pas de problème avec le mirécran. « Mirécran, le miroir qui vous ment » (…) Vous rigolez mais c’est le slogan ! Je n’invente rien ! Il fallait oser, non ? Et ça a marché, très bien même, les gens adorent ça : ils se voient exactement comme ils veulent se voir. »[1] 

Et bien, HP a osé avec le HP Photosmart R847 et le HP Photosmart R937, qualifiés sur le site d’HP d’ « appareils très audacieux » et de « rois de la créativité » : « Avec la nouvelle fonction ‘effet lifting’ (…), HP offre une nouvelle jeunesse sur les photos : les rides et les imperfections disparaissent en un clic pour laisser place à une peau lisse et unifiée. » 

Dans La Zone du dehors du brillant Alain Damasio, le mirécran est une métaphore du premier principe sur lequel repose le contrôle social instauré par le Clastre : « 1. Extraire, à partir de l’individu, un double corrigé de lui-même : le dividu »[2]. Sur Cerclon, le Clastre est le garant d’une démocratie poussée au bout de sa logique et finalement très proche de la nôtre : un système qui se maintient et se perpétue par la dilution du contrôle social par tous et sur tous, par une auto-censure et par une desubjectivation et une normalisation des esprits et des corps, dont la vitalité s’est engourdie dans une quête effrénée de sécurité, de confort et dans la simplification du réel.

Dans le monde d’HP, comme sur Cerclon, la créativité et l’audace se nichent dans un curieux endroit : la négation de la réalité et de tout ce qui constitue l’homme (et la femme !) comme être vivant, animé et mouvant, perpétuellement en devenir, donc changeant.

Bien sûr ce que propose HP, comme le mirécran, n’est qu’une illusion. Et d’ailleurs une illusion plus difficile à maintenir puisque HP ne promet la jeunesse éternelle que « sur les photos ». En définitive ce qu’offrira HP à celles et ceux qui seront tentés par ce mirécran, c’est de gommer toutes leurs aspérités et de les rendre, virtuellement, lisses et uniformes.

Pour celles et ceux qui n’ont pas encore eu l’immense bonheur de lire La Zone du dehors du brillantissime et novateur Alain Damasio, deux liens qui vous donneront peut-être envie de le faire :

   - une interview de Damasio dans le Cafard Cosmique :
      http://www.cafardcosmique.com/Alain-DAMASIO-Je-fabrique-des

   - la « fiche » de La Zone du dehors sur le site de La Volte :
      http://www.lavolte.net/lazonedudehors/index_livre.php


[1] Alain Damasio, La Zone du dehors, 1999, La Volte, 2007, pp. 146-147.

[2] Idem, p. 146.


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