Recettes littéraires
L'épreuve du Carrot Cake
Ce jour là, en fin d'après midi, j'ai descendu dans mon jardin, pour y cueillir du romarin... mais ce sont des carottes que j'ai ramenées dans mon panier ! Fraîches et croquantes à souhait, oranges et parfumées...
Malgré le bonheur et la beauté de ces légumes vitaminés je n'ai pu empêcher la très fréquente et subite vague de sadisme culinaire m'envahir. Je saisis une arme tranchante et sans réfléchir, leur arrachai les pieds et la tête.
Les cris de terreur ne parvenaient même plus à mes oreilles. Le ciel s'était assombri et des gouttes de pluie commençaient à tomber. Je noyai les carottes sous le robinet d'eau glacée et décidai de les écorcher vives sur le champ. Un parfum carotté montait à mes narines, excitant mon imagination. J'attrapai la râpe, saisis une carotte au hasard, la regardai dans les yeux et la projetai avec force sur les bords tranchants. 185 grammes et un peu d'huile de coude plus tard, je me sentais enfin calme et sereine. J'abandonnai pour un moment ces restes éparpillés, enfin silencieux, immobiles.
Dans un grand saladier, je mélangeai 180g de farine à 180g de sucre roux. Je n'omis pas d'ajouter un sachet de levure, dans le vif espoir de voir mes carottes s'élever haut sous la douleur. J'ajoutai ensuite 1 cuillère à soupe de cannelle : une épice capable de dompter les carottes aussi bien que le cumin et l'orange, mais ceci est une autre histoire... Je mélangeai encore et encore, à la cuillère à bois. Le batteur électrique est fortement proscrit depuis que l'on a découvert que les carottes y étaient totalement insensibles. Je fus tentée d'humilier les carottes une dernière fois, et préparai donc le mélange idéal à ce traitement: une pâte dont l'aspect rebuterait toute cuisinière sensible et non avertie. Dans une ancienne tradition Frioulane on appelle cela "l'épreuve du KK", c'est à dire du Carrot Cake... 100g de beurre fondu dans le mélange farineux, c’était parfait. Je jetai les carottes (ce qu'il en restait) dans ce mélange marron clair et peu appétissant. J'ajoutai 3 oeufs un à un, en mélangeant avec soin pour n'épargner aucune de mes victimes. Je les fis macérer quelques dizaines de minutes, leur laissant espérer une improbable échappatoire à la cuisson...
J'allumai le four précisément à 160°C, comme on allume un bûcher : en prévision d'une ultime torture.
Je jetai finalement le tout dans un plat à cake long et enfournai violemment dans le four. Je fermai consciencieusement la porte, en souriant.
Cinquante minutes plus tard, toutes traces du crime effacées, la vaisselle faite et les courses de la veille rangées, la transformation avait opéré. Et les carottes chantaient ! La cannelle les enrobait d'un parfum enivrant ! Oh, quelle délicate couleur de coucher de soleil, quelle texture onctueuse, quel flanc bombé, quel parfum de jardin de campagne sucré aux tartes de mémé ! Je voyais des lapins gambader dans les prés, j’avais envie de m’offrir une râpe digne de ce nom, la souffrance des légumes disparaissait dans tout ce bonheur à manger ! Aimable, bronzée, les fesses roses… J’étais une autre !
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