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Fanes de carottes
14 octobre 2007

Le feuilleton du dimanche

Enfer administratif

Luma

Deuxième épisode

"Boum"

...

Résumé de l'épisode précédent

Martin a recruté une équipe assez improbable pour réaliser le casse du siècle, celui de l'Administration, ou plutot de l'ordinateur géant qu'elle abrite, et qui gère tout le pays. Leur but? trafiquer les fichiers et vivre comme des seigneurs jusqu'à la fin de leurs jours. Mais dès le premier obstacle, un doute hante Martin: a-t-il vraiment bien choisi les membres de son équipe?

...

La voix de l’I.A. me paraît de plus en plus stridente. Elle nous ordonne d’adopter enfin un comportement cohérent et m’avertit qu’elle me programme des séances de rééducation psychologique – les autres étant sous ma responsabilité. L’ambition et l’audace sont souvent mal perçues, visiblement.

Enfin, la bombe remplit son rôle et l’écran en entier se détache du mur dans une vibration sourde avant de tomber lourdement sur la moquette épaisse. Ni explosion ni panache de fumée : cette absence est en elle-même impressionnante. Je ne regrette plus d’avoir engagé Silver.

Je me glisse dans l’espace précédemment occupé par l’écran et la série de gadgets qui le reliaient à l’I.A. principale – la bombe a soufflé tout ça très proprement – et je grimpe de mon mieux, écartant les fils et les boîtiers sur mon passage. Très vite j’atteins un tube horizontal me permettant tout juste de ramper, ce que ce je fais pendant cinquante mètres. Enfin j’arrive dans la salle où je me laisse tomber avec un soupir de satisfaction. Ce n’est même pas vraiment une salle, plutôt un puit, un tunnel carré vertical de cinq mètres de côté qui monte jusqu’à cent mètres de haut - d’après ma carte. Au-dessus de moi, impossible d’y voir à plus de cinq mètres, l’obscurité avale étonnamment vite la lumière puissante de ma torche. Nous sommes dans une aberration architecturale, un vide laissé au cours des remaniements de la structure des machines, heureusement relié au vieux réseau de maintenance qui était justement prévu pour les réparations humaines. Aucun système de sécurité une fois que nous sommes dans les entrailles de la bête. Le casse du siècle ne demandera que notre talent, et du talent mon équipe et moi-même n’en manquons heureusement pas.

Nous entamons l’ascension immédiatement - autant en faire le maximum tant que nous sommes en forme. Nous sommes tous équipés de crochets aux mains et aux pieds, qui se fixent instantanément sur la paroi de métal et se détachent une fois qu’on les tire vers le haut. Pas le temps de se sécuriser davantage. Est souffle très bruyamment au bout d’une minute à peine, elle a pourtant fait bien pire que ça à l’entraînement, ça doit être le stress. Tout ce que je lui demande c’est de ne pas paniquer au point de tomber. Déjà le sol a disparu. Nous sommes suspendus entre deux carrés de noir absolu, chassant l’impression tenace de tourner, de répéter à l’infini les mêmes gestes pour n’arriver nulle part. Les dix premières minutes sont les plus longues. Ensuite, la monotonie de notre tâche nous abrutit suffisamment pour que nous cessions de consulter l’horloge à chaque pas – et surtout que nous arrêtions de vérifier à l’altimètre que oui, nous montons. Même Charbon, qui joue au professionnel, l’a regardé en douce. Nous montons. Vers la fortune et la gloire, me répète-je pour chasser de mon esprit l’idée que les ténèbres sous mes pieds sont beaucoup trop proches pour n’être que des ténèbres…

Je regarde dans mon dos – un simple coup d’œil bref, je suis un chef et je me dois de surveiller mes troupes – quand je sens mon crochet s’enfoncer dans quelque chose d’étrangement mou. Je me retourne, ma lampe frontale éclaire crûment une longue plaque de moisissure vert sombre. Derrière moi Silver s’écrit : « Putain de merde, c’est quoi ça ? »

Charbon répond :

« Je ne sais pas mais ça a l’air de recouvrir tous les murs.

_ Les crochets tiennent dessus ? demande Est, inquiète.

_ Apparemment oui, si on appuie assez fort pour traverser le truc vert et atteindre le mur.»

Je teste. Oui, c’est faisable, mais c’est dur et la couche de matière verte – trop compacte pour être de la moisissure, on dirait plutôt une sorte de vase qui serait collée à la verticale – paraît s’épaissir quand on monte. On va vite s’épuiser.

« C’est quoi ? demande Est.»

Je lui réponds que je n’en ai aucune idée. Mauvaise réponse, m’indique son expression. Il faut que je trouve quelque chose : il nous reste encore trente mètres avant d’atteindre le sommet et elle commence à trembler.

Charbon a senti le danger et commence à lui parler d’une voix douce, en articulant exagérément, comme si c’était une enfant. Est s’énerve et lui répond qu’elle est parfaitement capable de s’occuper d’elle, merci bien. La dispute s’envenime – étrangement aucun des deux ne parle plus fort que le chuchotement, comme si nous étions en train de violer un sanctuaire. Soudain Silver éclate de rire et dit : « Attention dessous !»

Nous levons nos lampes vers elle. Je n’avais pas vu qu’elle avait grimpé si haut, ni qu’elle se tenait en équilibre sur les prises de ses pieds pour fouiller dans ses poches. Elle a apparemment mélangé le contenu de plusieurs fioles et en a badigeonné la paroi, laissant une longue trace visqueuse où le métal apparaît. Elle crie en lâchant un tube vide et continue joyeusement son travail d’escargot. Je la félicite – surtout pour ne pas entendre l’absence de bruit accompagnant la chute du tube, pour ne pas l’imaginer tombant et tombant dans le gouffre. Précautionneusement, nous nous engageons à la suite de Silver dans le chemin vertical qu’elle ouvre à travers la mousse, d’abord Est, puis moi, puis Charbon. J’entends Silver marmonner des incantations lugubres au fur et à mesure qu’elle fait fondre l’étrange matière verte. Celle-ci est de plus en plus épaisse, elle nous dissimulerait entièrement si la voie ouverte par Silver ne s’élargissait pas constamment. C’en est même inquiétant, la vitesse à laquelle elle nous ouvre un passage aussi confortable, tandis que la mousse visqueuse s’amasse sur les trois autres parois. On dirait que la matière recule. Qu’elle a su reconnaître les ennuis et qu’elle se contracte pour ne pas entrer en contact avec les produits magiques de notre sorcière. Je ne sais pas ce que c’est, ni ce que ça fait là, et l’idée que ça soit intelligent me flanque la chair de poule. Je préfère penser que c’est sans doute un végétal, une sorte de moisissure plus ou moins mutante, comme je l’avais imaginé au début. Puis j’arrête de penser. Il y a des moments dans la vie où il faut savoir se mettre en black-out.

Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé quand j’entends Silver dire : «Chef ! On fait quoi maintenant ?»

Ce n’est pas une question innocente. Pour obliger Silver à reconnaître la hiérarchie au point de m’appeler "chef", c’est même un sacré putain de foutu problème. Je lève la tête et je perds momentanément mon souffle. J’entends Est émettre un petit cri étranglé. Charbon ne réagit pas du tout. Je le déteste.

Au-dessus de nos têtes la moisissure se réunit en une belle voûte au centre de laquelle tremble un ovale d’un blanc laiteux long de plus de trois mètres. Ce truc vibre au rythme d’une respiration. Est murmure :

   « Dieux, mais qu’est-ce que c’est ? Et comment ça a pu arriver ici ?

_ Peu importe, dis-je en jouant les hommes blasés (alors que la chose m’a filé les chocottes à moi aussi, et pas qu’un peu), en tous cas ça bouche le passage. Silver ?

_ Ouais ?

_ Vas-y, fais boum-boum.

_ Franchement il y a des fois où je trouve la façon dont vous vous adressez à moi trop condescendante pour mériter qu’on passe dessus, même pour garder une bonne ambiance au sein de l’équipe. Mais puisque vous me remettez si gentiment carte blanche (elle fait craquer ses doigts et je devine d’ici son sourire qui s’élargit encore davantage), ça marche, on va faire boum-boum.»

à suivre…

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Commentaires
E
Noon! L'auteur est Luma, c'est précisé tout en haut du billet!<br /> Mais je suis bien placée pour savoir combien il y a d'épisodes, parce que c'est moi qui ai travaillé avec l'auteur, et qui poste les épisodes!<br /> ^^
D
Dois-je en conclure que l'auteur est... ekwerkwe ?
E
Eh bien, encore huit épisodes pour se régaler...
C
Ah ! chouette, Véron récalcitrante au premier feuilleton a accroché ! :-)
V
l'effet feuilleton m'a touché avec ce 2e épisode ... viviment dimanche !
Fanes de carottes
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